dimanche 18 mars 2012

La mondialisation ne date pas de la dernière mousson

C'est ainsi que nous avons ouvert ces mers,
Qu'aucune génération n'avait jamais ouvertes,
En vue des îles nouvelles et des espaces nouveaux
Que le généreux Henri avait découverts.
Extrait des Lusiades - chant V - Luís Vaz de Camões


Le monde est mondial depuis une magnifique lurette. Pour nous en convaincre, décrivons les réalités d'autrefois avec les mots d'aujourd'hui.

Au milieu du quinzième siècle, les portugais, sous l'impulsion du roi Henri le Navigateur, prirent d'assaut le marché des océans. En environ un siècle, ils obtinrent une sérieuse part de l'Afrique et de l'Amérique du Sud, créèrent des filiales en Inde et en Chine ainsi qu'une joint venture dans le sud du Japon.
Par la même occasion, le Portugal établit un commerce - un business model - florissant.
Leur croissance fut alimentée par un recours à la main d'œuvre locale, tant dans la sphère économique que dans le développement de l'empire. Les soldats portugais reçurent de fortes incitations pour s'établir dans les nouvelles colonies et engrosser les femmes dites indigènes.

Les vestiges de cette mondialisation lusitanienne sont omniprésents dans l'Etat de Goa sur la côte ouest de l'Inde.
Les noms de lieu et de famille sont portugais. L'hôtel où je viens de séjourner était situé dans la ville de Vasco da Gama, les réceptionnistes se nommaient Michel Gomes et Ana D'Souza et un porto local était gracieusement proposé.
Le vieux Goa rassemble une dizaine d'édifices chrétiens bâtis autour de 1600, dont trois immenses églises. Leur architecture très typée ressemble à s'y méprendre à celle d'églises de la même époque visitées au Brésil. L'affluence aux messes dominicales y est importante et déborde sur les parvis.
A plus de dix mille kilomètres de Lisbonne, les avancées militaires et marchandes du Portugal ont été accompagnées de la diffusion de sa culture de masse : langue portugaise, religion catholique et architecture baroque.

Cette conquête planétaire a été réalisée sous la houlette de managers exceptionnels, capitaines au long cours et jésuites, aux ambitions affirmées et aux objectifs démesurés. Le Portugal n'hésita pas à recruter les meilleurs talents. Il fit même appel à l'outsourcing. Ainsi Saint François Xavier, leur plus célèbre business developper en Orient, était basque. Ce cadre expatrié fit de nombreux passages au regional corporate headquarters de Goa. Il prospecta les Philippines et les îles Moluques. Il poussa même jusqu'à Oita au Japon où ses statues ornent encore les rues. Un malheureux et mortel accident du travail l'empêcha de prendre pied en Chine.
Comble de la passion professionnelle, même décédé, il continua de servir ses employeurs. Son exceptionnelle atteinte des objectifs lui valut une canonisation, sorte de promotion post-mortem.
Sa dépouille momifiée est toujours exposée à Goa où elle alimente la dévotion des clients, pardon, des fidèles.

Le Portugal a cessé d'être une économie leader depuis plus de trois cent ans. Il ne sut pas prendre la mesure de son expansion. Très vite, capitaux, technologies et ressources humaines cessèrent de se renouveler et signèrent l'arrêt de mort de cette globalisation catholico-commerçante.
Soudards, missionnaires, négociants et colons portugais se sont fort heureusement évaporés. Toutefois, un peu partout sur la planète, à l'instar de Goa, Oita et Embu, les traces culturelles du royaume de Lisbonne perdurent.
N'est-ce pas là l'essentiel ?

Obligeamment votre

Compléments et références
- Tous mes remerciements à Mahesh qui m'a fait découvrir Goa et à Jean dont la conversation stimulante a alimenté cette chronique.
- Les chroniques sur Oita au sud du Japon
- Mes photos des églises de Old Goa / Velha Goa
- Les églises et couvents de Old Goa / Velha Goa classés au Patrimoine Mondial de l'Humanité / World Heritage de l'UNESCO
- Quelques articles Wikipedia pour aller plus loin : Goa, histoire de Goa, Old Goa / Velha Goa, Saint François Xavier, Henri le Navigateur, Oita au sud Japon (article en anglais), Embu près de Sao Paulo au Brésil (article en anglais)
- Version originale en langue portugaise des vers cités en exergue extraits du poème épique Les Lusiades / Os Lusíadas de Luís Vaz de Camões :
Assim fomos abrindo aqueles mares,
Que geração alguma não abriu,
As novas ilhas vendo e os novos ares,
Que o generoso Henrique descobriu.