dimanche 13 mai 2012

Hommages de Hollande

On me souffle dans l'oreillette que François Hollande, mardi prochain 15 mai 2012, juste après avoir reçu les clefs de l'Élysée et du champ de tir, ira déposer des gerbes en mémoire de Marie Curie et de Jules Ferry.

A en croire les gazettes, le président élu souhaite ainsi mettre en exergue éducation, laïcité, progrès et femme immigrée.

Malheureusement, promouvoir de nobles idées à l'aide d'illustres défunts est un exercice périlleux.


Vive l'atome !

Marie Sklodowska-Curie ne fait pas débat.
Elle possède toutes les vertus de l'icône républicaine.
Cette polonaise, fauchée, venue faire ses études à Paris, mena, avec son époux Pierre Curie, ses recherches sur le radium dans des conditions matérielles plus que précaires.
Récompensée par le prix Nobel de physique en 1903, elle continua seule, après la mort accidentelle de son mari, ses travaux scientifiques.
Durant la Grande Guerre, elle établit un système de radiographie mobile pour soigner les blessés du front et conduisit elle-même un des camions.
En 1911, sa liaison avec le physicien Paul Langevin défraya la chronique. Accusée par la presse conservatrice et catholique d'être une "juive polonaise" "briseuse d'un ménage français", elle fut menacée de reconduite à la frontière par le ministre de l'Instruction Publique. Des militants d'extrême-droite firent le siège de son domicile. En plein scandale, le prix Nobel lui fut décerné pour la seconde fois mais le comité Nobel lui suggéra de ne pas se présenter à la cérémonie officielle. Marie Curie surmonta ces épreuves grâce à quelques trop rares soutiens, dont un certain Borel, directeur scientifique de Normale Sup.
François Hollande n'aurait pu trouver plus beau symbole pour entamer son quinquennat :  une femme, enseignante, d'origine étrangère, héroïne des budgets malingres de la recherche publique, incomprise de ses ministres de tutelle, ostracisée par la droite et pionnière de la recomposition des couples ...
Et puis, célébrer la découverte de la radioactivité, quel pied de nez aux écologistes !


Jules Ferry ce fier colonial !

Que François Hollande honore Jules Ferry est nettement plus discutable.
Bien sur, ce centriste de gauche, ministre à répétition, a œuvré sans compter, dans ses différents postes, à la mise en place effective de l'école gratuite, laïque et obligatoire. Il est incontestablement l'architecte du système scolaire moderne de la France.
Franc-maçon et libre penseur, il s'est aussi astreint à éloigner le catholicisme de l'enseignement. Pour contrebalancer l'influence de l'Eglise, il a introduit en primaire la morale et l'instruction civique.
Soucieux de mettre lui-même en avant des valeurs exemplaires, il n'a pas hésité à faire expulser hors de France en 1880 plus de cinq mille moines, membres des congrégations religieuses interdites sur simple décret du gouvernement.
Mais Jules Ferry ne s'est pas contenté de cogner à bras raccourcis sur les catholiques, il a aussi boosté l'expansion coloniale de la France. Ainsi, il a prétendu à la tribune de l'Assemblée Nationale que "les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures" et doivent les "civiliser".
Au nom de ces principes "humanitaires", en 1881, il a été le premier ministre qui a lancé la France à la conquête de la Tunisie. Le 12 mai, ses émissaires forcèrent le Bey de Tunis à signer le traité du Bardo qui créa le protectorat tunisien, euphémisme pour colonie. La Tunisie mettra 75 ans à se débarrasser de cette encombrante tutelle.
Il convient de rappeler qu'à la fin du dix-neuvième siècle, la droite d'alors était opposée à la colonisation alors que la gauche la soutenait mordicus au nom du progrès. Seuls Georges Clémenceau et ses amis sauvèrent l'honneur de leur famille politique. Le Tigre répondit à Jules Ferry "la conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force. [...] Parler, à ce propos, de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie."

Si mardi prochain, comme annoncé, les hommages de Hollande s'adressent autant à Jules Ferry qu'à Marie Curie, il sera difficile de ne pas y voir une commémoration coloniale et une gifle vis à vis du printemps arabe.
Pour parfaire ce geste singulier, je suggère au nouveau président français de téléphoner à son homologue tunisien et de lui enjoindre fermement de rendre illico à l'avenue Habib Bourguiba de Tunis sa belle appellation d'origine d'avenue Jules Ferry.

Mémoriellement votre

Références et compléments
- Les passages en italique sont des citations authentiques.
- Deux articles de presse annonçant les futurs hommages de Hollande : la Croix et le Nouvel Observateur.
- L'extrait du discours de Georges Clémenceau provient de Wikipedia.