mardi 7 août 2012

Du satin sur le divan du toubib : il y a de l'arabe dans le français !

N’en déplaise aux sectes de tout poil, il y a de l’arabe dans le français !
La langue littéraire et l’argot contiennent de multiples mots d’origine arabe provenant des croisades, de l’espagnol, de l’italien, de la colonisation et de l’immigration. 
Pour preuve, ce dialogue vaguement érotique recueilli subrepticement dans le secret d’un cabinet médical.

– Bonjour toubib.
– Bonjour chère madame. Entrez vite ! Il pleut si fort sur la grand route ! Heureusement votre caban m’a l’air bien imperméable.
– Oui et, en plus, sa doublure en mohair le rend très agréable à porter.
– Posez votre barda ici.
– Il fait bon chez vous. Vous vous chauffez comment ? Au mazout ?
– Oui, j’ai un chauffage central qui, depuis que je me suis installé ici, n’a encore connu aucune avarie. Je l’ai fait venir du Groenland.
– N’avez-vous pas eu de problèmes avec la douane ?
– Si, ça été un peu compliqué. Les exigences des gabelous sont prohibitives. Il faut qu’ils fassent du chiffre. Heureusement, avec un petit bakchich le problème a été résolu fissa.
– La société de mon mari qui importe des raquettes du Japon a le même type d’embêtements. Les tarifs des douaniers sont exorbitants, ils se prennent pour des nababs ! Pourtant ce ne sont que des caïds de seconde zone ! Il leur fait toujours plus de flouze ! Ils disent qu’ils contrôlent au hasard mais comment les croire ?
– Je vous en prie, prenez place sur ce sofa. C’était auparavant un lit à baldaquin qui occupait une alcôve à mon domicile. J’ai fait changer le matelas, passer un petit coup de laque et, hop, désormais c’est un divan pour mes patientes. C’est quand même plus agréable que mes anciens tabourets.
– Quel confort ! Un vrai massage ! Et ce tissus ambré une pure merveille qui se marie très bien avec les coussins rouges !
– Puis-je vous offrir un petit kaoua ? J’ai dans cette carafe isotherme un moka spécial que m’envoie un petit producteur yéménite dont, autrefois, j’ai guéri la fille.
– Bien volontiers, toubib !
– Combien de sucres ? Normal ou candi ?
– Un seul, candi, s’il vous plait.
– Voici. Prenez donc aussi ce petit caramel dans cette timbale, il faut bien que mes confrères dentistes puissent assurer leur chiffre d’affaire !
- Un régal ! Un vrai sirop ce kaoua ! Que dis-je ? Un élixir divin !
– Trêve de salamalecs ! Qu’est-ce qui vous amène ? Que puis-je pour vous ?
– Une fatigue perpétuelle m’assaille. C’est comme si j’avais en permanence un fardeau sur mes épaules, qu’on me cognait sur le crâne à coups de matraque, qu’un tambour résonnait dans ma tête faisant un ramdam de tous les diables, que des dizaines de clébards aboyaient dans mes oreilles, qu’une noria de bulldozers aplanissait mes méninges … J’ai peur d’avoir quelque tare héréditaire.
– Il va falloir que je vous examine. Pourriez-vous enlever votre jaquette et votre jupe, s’il vous plait.

Ouah !!! Des sous-vêtements en satin et en mousseline ! Ah ces reflets moirés ! Votre mari est un homme comblé ! Ma femme ne porte que de ternes culottes en coton qu’elle achète au magasin du coin.
Toubib, vous me gênez ! Bornez votre zèle à de plus innocents marivaudages ! Je sens que je deviens cramoisie. Je serai bientôt aussi écarlate que les coussins de votre divan.
– Que nenni ! Le carmin vous va a ravir ! Votre beauté dépasse celle d’un nénuphar !
Toubib, votre arsenal à compliments me semble contenir un peu trop de munitions ! Si vous continuez, je pourrais en faire un almanach !
– Je crains que vous ayez une allergie à des substances chimiques. Seriez-vous en contact avec de l’ammoniac ? Vous savez ce produit que nos grands-parents appelaient l’alcali volatil.
– Non ! Je n’en ai même pas un chouilla chez moi.
– Et de la cire de bougie peut-être ? du goudron ? de la soude caustique ? du benzène ? du borax ? de l’essence de tamaris ?
– Le bois de la guitoune au fond de mon jardin qui servait d’abri pour le cheval alezan de mon oncle Archibald est entièrement goudronné. Ce vieil oncle, surnommé l’amiral car il possédait un chantier naval, a utilisé les mêmes techniques de calfatage que pour ses bateaux.
– Vous y allez souvent dans ce gourbi ?
– Oui, assez, j’y entrepose dans des couffins et dans des jarres les matières premières pour mon atelier de maroquinerie. Un vrai souk !
– Dans ce cas, le diagnostic est assez simple : vous faîtes une allergie au goudron.
– Ca se soigne ? Ou bien va-t-il falloir que je me procure un talisman pour éloigner la camarde ?
– Ca se soigne très bien ! Tout d’abord, cessez d’aller dans cette guitoune, envoyez quelqu’un d’autre à votre place. Ensuite, pendant quelques temps, un régime alimentaire strict va s’imposer. Vous ne devrez plus manger que des artichauts, des épinards, des aubergines et de l’estragon ainsi que des abricots et des oranges.
– Même pas un petit kebab ou un petit méchoui de temps en temps ? Une brick au thon albacore ?
– Non, régime strict ! Zéro viande sinon c’est l’échec assuré !
– Un petit loukoum ? Une petite baklawa ?
Kif kif ! Ah ! J’oubliais, pas d’alcool ni de sorbets non plus ! Et évitez aussi de faire trop la nouba.
– Ca fait quand même pas besef d’aliments possibles ! C’est de la mesquinerie diététique !
– Un petit effort le temps de remettre à niveau votre algorithme personnel et tout ira mieux !
Toubib vous m’assassinez ! J’ai l’impression d’avoir heurté un récif !
– Si vraiment c’est trop difficile, vous pouvez essayer le camphre.
– Vous me transformez en momie ! Je ne vais plus manger que de la camelote !
– A l’extrême rigueur vous pouvez recourir au talc dans les sinus … mais surtout à doses homéopathiques ! Par contre, évitez absolument le hachich.
Je vous écris tout cela sur une ordonnance … sauf le talc, bien entendu ! Mais où ai-je mis la rame de papier à entête ? J’ai pourtant fait récemment une razzia à l’imprimerie.
Toubib, vous me prenez pour une brêle ?
– Assurément pas ! A chaque fois que vous venez me voir c’est comme si le soleil était à son zénith, se découpant sur champ azur !
Malheureusement, l’heure tourne, cessons de faire les zouaves ! Je suis au regret de devoir vous demander de vous rhabiller chère gazelle, de remettre un voile sur vos gazes.
– Pourrais-je revenir vous voir après mes vacances ? Mon mari et moi allons faire un safari photo.
– Vous êtes toujours la bienvenue. Vos dessous satinés me distraient de toute la smala qui m’attend à la maison et des exercices d’algèbre de mon second fils. Il me prend pour un cador mais je peine ! Rendez-vous compte, hier soir, j’ai du réapprendre à calculer un azimut ! Et pour aujourd’hui, il m’a promis des problèmes d’unités : convertir des quintaux en livres.
– Bien ! Au revoir toubib. Merci pour tout et bon algèbre !
Et ... comme votre divan est avenant ... peut-être que ... la prochaine fois ... vêtue seulement d’une djellaba ... me hasarderai-je à couvrir avec votre aide mon mari de safran

Arabiquement votre

Références et compléments
- Un second épisode intitulé "la braguette du druide" vient s'ajouter à ce marivaudage diététique entre un médecin et sa patiente. Dans cette deuxième livraison, ils badinent, et même un peu plus, avec des mots d'étymologie gauloise et celtique.
- L’étymologie arabe des vocables en gras est attestée dans l’article « Mots français d’origine arabe » du dictionnaire libre Wiktionnaire.
- Impossible d’évoquer les merveilles et les recoins de la langue française sans Georges Brassens. Le texte ci-dessus contient quelques citations des chansons du barde de Sète que je vous laisse retrouver.