vendredi 3 août 2012

Kelibia Roger Copy

Fin années 1970, début années 1980, l’équipement en téléphones fixes de la France commençait, enfin, à être conséquent. L’époque du « 22 à Asnières » de Fernand Reynaud s’estompait.
Toutefois, hors de son domicile ou de son poste de travail, téléphoner supposait dégotter une cabine en état de marche. Être appelé sans préavis était impossible.
Les tarifs non « locaux » étaient chers. Une pièce de 5 francs – somme non négligeable pour un étudiant – permettait, en « heures creuses », de parler environ 3 minutes entre Toulon et Grenoble. Joindre l’étranger était prohibitif et pas toujours aisé.

En Tunisie, les téléphones étaient nettement plus rares, les cabines inexistantes et les « publiphones » pas encore autorisés. Communiquer avec l’Europe supposait un abonnement spécial et coûtait une fortune. Ces appels n’avaient lieu que lors de situations dramatiques, pas question de passer un coup de bigophone pour raconter sa vie.

Le meilleur moyen de communiquer entre les deux rives de la Méditerranée restait la poste aérienne. Les héritiers de Mermoz et de Saint-Exupéry avaient mis au point « l’aérogramme », pli spécial en papier très fin, qui mettait, lorsque les vents étaient favorables, 72 heures pour relier Lutèce à Carthage.
Aussi en 1981, lors de mon premier séjour en Tunisie, j’ai passé une quinzaine de jours sans contact direct avec ma famille en France.

La révolution – le mot n’est pas trop fort – est survenue dans la seconde moitié des années 1990 avec téléphones portables, internet et concurrence entre opérateurs.
Le premier appel passé vers la France depuis Kelibia sur le mobile d’un beau-frère avait un aspect miraculeux voire même transgressif.
Dès lors, d’autres premières fois se sont rapidement accumulées : premier relevé de mails dans un « publinet », premier échange vidéo avec Skype, première utilisation d’une clef 3G, premier smartphone, première chronique publiée depuis la Tunisie …

Frontières et distances peuvent continuer, pour la forme, à résister encore un peu. Elles ont pourtant pris un sacré coup de vieux. Et c’est tant mieux !

TSFiquement votre

Références et compléments
- Le thème de cette chronique m’a été, involontairement, suggéré par Ferid.
- Voir aussi deux chroniques sur des thèmes voisins : "timbres, iPhone et salaires ouvriers" et "des encyclopédies et de l'iPhone au fil des présidences".
- Le titre « Kelibia, Roger, Copy » est inspiré par le trafic radio des missions spatiales Apollo.
Ces transmissions étaient difficilement audibles aussi l’accusé de réception était systématique.
Roger et Copy sont les deux codes signifiant que le message a été capté et compris.
Pour aller plus loin, se reporter aux articles Wikipedia sur le vocabulaire radio en français et en anglais.
L’intégralité du trafic radio d’Apollo 11, la première mission lunaire en juillet 1969, a été transcrite et mise en ligne par la NASA. Je tiens toutefois à avertir les amoureux de la grande littérature que ce texte ne rivalise guère avec Proust ou Shakespeare.
- Les publiphones en Tunisie sont des échoppes équipées de cabines téléphoniques et opérées par des personnes privées. Par analogie, les cyber-cafés s'appellent publinet.
- Le « 22 à Asnières » est un sketch datant de la fin des années 1950 de l’humoriste auvergnat Fernand Reynaud.
A l’époque, le téléphone n’est pas automatique. Il faut demander à une opératrice le numéro de son correspondant – dans le sketch le 22 à Asnières – et attendre d’être mis en relation. Ce système peu efficace cafouillait et s’engorgeait souvent.
Le personnage campé par Fernand Reynaud, après moult péripéties, se résout à joindre New York pour être mis en relation avec la banlieue parisienne.