lundi 3 décembre 2012

La sémantique déjoue un complot du Grand Capital

Grâce à la sémantique, j'ai pu, aujourd'hui en fin d'après-midi, mettre à jour un complot économique.
Voici les faits.

Désireux d'effectuer quelques emplettes, je me suis rendu dans le grand magasin libre-service que je fréquente régulièrement et dont la marque fleure bon l'intersection routière.
Habituellement, je récupère à l'entrée un petit dispositif qui permet de relever soi-même les prix de ses achats et de payer à une machine d'encaissement automatique juste avant de sortir. Cette façon de procéder est plus rapide que le recours aux services d'une caissière.
Ce soir, le présentoir distribuant les appareils de relève de prix était inaccessible. Une grande pancarte proclamait que le système était hors service pour toute la journée en raison d'un "versionnage correctif". Du fait de cette indisponibilité, j'ai effectué mes courses de manière traditionnelle, ce qui n'était pas survenu depuis une sacrée lurette.

Rendu perplexe par l'expression "versionnage correctif", à peine rentré chez moi, j'ai compulsé dare-dare les meilleurs dictionnaires du moment.
Le mot correctif ne pose guère de problèmes : "qui apporte une correction à quelque chose, une amélioration à un fonctionnement défectueux ; qui vise à redresser une déviation". De ces définitions, il est aisé de supposer que le relevé des prix devait cafouiller quelque peu et que le magasin avait probablement choisi de faire appel à un réparateur patenté.
Par contre, le vocable versionnage, mais aussi le verbe versionner, sont inconnus au bataillon et laissent perplexes. Seul, le terme version est clairement spécifié : "action de traduire un texte d'une langue dans une autre ; texte qui en résulte".
Diantre ! Quel rapport entre la traduction et un bidule qui compte les achats que je réalise ?

En y réfléchissant un peu, j'ai fini par dégoter une explication plausible.
Depuis un peu moins de onze ans, la France a abandonné le Franc, sa monnaie séculaire, au profit de l'Euro, la devise européenne. Toutefois, la très grave crise économique et financière que nous subissons depuis 2008 laisse planer le spectre d'un effondrement de l'Euro et d'un retour au Franc.
Il est probable que les patrons de l'entreprise où je fais mes courses - naguère membres des "deux cent familles" - disposent d'informations privilégiées sur l'imminence d'un changement monétaire et qu'il s'y préparent subrepticement, sans daigner avertir leurs prolétaires de clients qu'ils saignent aux quatre veines.
Ils ont lâchement profité que, le lundi, l'affluence est réduite, pour mettre en place dans leurs machines, non pas une traduction, mais une conversion entre l'Euro et le futur nouveau nouveau Franc.
Fort heureusement, la sémantique a permis de débusquer cette odieuse entourloupe du Grand Capital ! Je vous encourage à faire largement connaître autour cette manœuvre éhontée qui risque, une fois de plus, de spolier les travailleurs et les classes populaires.

Linguistico-carrefouriquement votre

Post Scriptum
Je me suis astreint à n'employer dans cet exercice de style, à l'exclusion du barbarisme versionnage correctif, que des termes compréhensibles par un français des années 1950.
En quelque sorte, j'ai tenté de faire une version entre la langue actuelle et celle d'il y a 60 ans en arrière.

Références et compléments
- Les "scannettes" de l'hypermarché Carrefour de Meylan dans la banlieue de Grenoble étaient réellement hors d'usage lundi 3 décembre 2012 pour cause officielle de "versionnage correctif".
- Les dictionnaires consultés au sujet de "versionnage correctif" sont les huit mis en ligne par le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).
Versionnage est, à mon sens, une adaptation française un peu trop littérale de l'anglais versioning dont une meilleure traduction serait gestion des versions, voire simplement version.
- A propos des "deux cent familles" se reporter à la chronique "Besoin d'argumenter ? Les nombres de 1 à 500 !".