samedi 6 juillet 2013

Tout savoir (ou presque) sur les pistes de sortie de crise

La série sur l'économie et les finances publiques de la France arrive à son terme avec un examen des pistes qui permettraient d'échapper au marasme dans lequel nous sommes englués depuis plus de 5 ans.

La situation économique française se caractérise par trois difficultés saillantes détaillées dans les chroniques précédentes :
- Des collectivités publiques, toutes catégories confondues, très dépensières : 1 450 € mensuels par français.
- Une imposition pesant trop lourdement sur le travail : une petite moitié des prélèvements obligatoires pénalisent directement l'emploi.
- Des finances nationales à la limite du sur-endettement : chaque français doit 2 années de SMIC.

Sortir de ce triple piège ne sera, en aucun cas, aisé et rapide.
Pour illustrer les marges de manœuvre microscopiques qui s'offrent à nous, examinons tout d'abord trois scénarios bruts de décoffrage.

Les dépenses publiques étant, grosso modo, supérieures de 10% aux recettes, l'explosion de la dette ne pourra être évitée qu'en annulant ce déséquilibre.
L'augmentation des impôts et des cotisations - jusqu'ici, la seule voie empruntée par Nicolas Sarkozy puis par François Hollande - a atteint ses limites. Presque la moitié de la production nationale file chez le percepteur.
Charger encore plus la mule fiscale arrêterait définitivement la machine économique. Freiner les dépenses publiques d'au moins un dixième est devenu indispensable.
En conséquences, grosso modo, 120 milliards annuels - 150 € par mois et par français - d'économies doivent être envisagés.

Le premier réflexe consiste à sanctuariser la protection sociale indispensable à la cohésion du pays et à demander à l'état et aux collectivités locales de se serrer la ceinture.
Réussir un tel tour de force supposerait des coupes particulièrement claires, au delà de la limite du supportable.
Grosses mailles, il faudrait simultanément :
- Bloquer les salaires de tous les fonctionnaires durant environ 3 à 4 ans supplémentaires.
- N'embaucher que 2 fonctionnaires à chaque fois que 10 partent en retraite, tous emplois confondus.
- Réduire d'au moins 20% à 25% le montant de l'ensemble des achats publics et des subventions.

Une seconde possibilité est de faire porter les nécessaires économies exclusivement sur les dépenses sociales de façon à préserver la machine étatique et le bien-être des agents publics.
Là encore, la pilule est singulièrement difficile à avaler. La couverture maladie, les allocations familiales et les retraites devraient être alors amputées d'un cinquième à un quart pour l'ensemble de leurs bénéficiaires.

Régulièrement les réseaux sociaux, et aussi quelques personnalités politiques, suggèrent un troisième scénario. Une lutte efficace contre l'évasion fiscale pourrait, sans autre effort, combler le déficit public.
Si une telle action est amplement souhaitable pour des raisons civiques et morales, le compte est très loin d'y être.
Le parlement évalue les montants soustraits annuellement au percepteur entre 30 et 40 milliards d'Euros. Un syndicat d'agents du fisc, qui naturellement plaide pour sa paroisse, annonce le double.
Ces chiffres incluent, non seulement, l'exportation délictueuse de capitaux à l'étranger par des huiles républicaines mais aussi le non-paiement de la TVA et le travail "au noir", y compris les petits boulots non déclarés payés en liquide comme les cours particuliers donnés par des étudiants.
En faisant l'hypothèse, très optimiste, d'une police fiscale efficace et intrusive ramenant dans ses filets un tiers de la fraude - performance que la maréchaussée ne réussit pas pour le trafic de drogue ou le proxénétisme - la puissance publique verrait son budget accru d'une ou deux dizaines de milliards. Une très belle somme qui laisserait quand même 90% du trou à combler par d'autres méthodes !

La voie de sortie ne peut donc être qu'étroite, longue et difficile.
Elle devra obligatoirement concerner l'ensemble des prélèvements et dépenses de la sphère publique au grand complet.

J'ai essayé d'échafauder les ordres de grandeur nécessaires pour remonter la pente. Il s'agit, peu ou prou, des mêmes actions que celles engagées par Gerhard Schröder en Allemagne entre 2003 et 2005 :
- Priorité à l'emploi en diminuant les charges pesant sur le travail via une réduction d'environ un cinquième des cotisations sociales et de l'impôt sur les entreprises.
Pour financer cette mesure sans aggraver le déficit, les impôts sur la consommation (TVA, carburant), le patrimoine (droits de succession, impôt sur la fortune) et le revenu devront être accru symétriquement de 20%.
- Blocage des salaires des fonctionnaires durant 18 à 24 mois, peut-être un peu plus.
- Diminution d'environ 6%, échelonnée sur 5 ans, des principales dépenses sociales : maladies, allocations familiales et retraites.
- Programme rigoureux de productivité et de redéfinition des missions publiques, à l'instar de ceux régulièrement mis en œuvre dans l'industrie.
Les deux conséquences financières principales seraient la limitation, durant une dizaine d'années, des embauches de fonctionnaires à un tiers des départs en retraite et la réduction d'un sixième sur 5 ans des achats et subventions publiques.

Le gouvernement actuel a commencé à prendre la direction ébauchée ci-dessus.
Malheureusement, si le cap est bon, l'intensité est loin d'être celle requise, la réduction des charges salariales pour les entreprises est trop complexe et la communication politique pêche par manque de clarté.

Pour sortir la France et ses finances publiques de l'ornière, un tel programme devrait s'étaler sur pas moins d'une dizaine d'années. Sans efforts de longue haleine, point de redressement.
Un retour nettement plus rapide à l'équilibre des finances publiques aurait l'inconvénient de transformer, à court terme, la stagnation actuelle en franche récession et, à l'instar de la Grèce, de nous enfoncer encore plus dans la crise.

Quitte à perdre les prochaines élections, François Hollande s'honorerait et nous rendrait un fier service en mettant ses godasses dans les pas de sociaux-démocrates allemands ou scandinaves.
Le courage politique et économique n'ayant pas été essayé en France depuis une trop longue lurette, les électeurs pourraient même, sait-on jamais, se montrer reconnaissants ...

Crisiquement votre

Références et compléments
Cette chronique, sous une forme légèrement remaniée, fait désormais partie du recueil disponible en ligne "Humeurs Économiques".

- Voir aussi les trois premiers volets de cette série de chroniques économiques :
. "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les dépenses publiques françaises",
. "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les impôts et les taxes en France",
. "Tout ce que vous toujours voulu savoir sur le déficit public de la France".

- Mes remerciements chaleureux à François et Laurent qui m'ont, il y a presque deux mois et sans le savoir, mis au défi d'écrire ses 4 chroniques sur l'économie et les finances publiques de la France.
Merci aussi au twittonaute @SIBILLEChristop qui m'a suggéré d'évoquer l'évasion fiscale.

- Les chiffres de ces quatre chroniques économiques, que les spécialistes qualifient plaisamment de consolidés, ont été obtenus par recoupement et recalcul de données présentées dans divers documents officiels en provenance des ministères des finances et du budget, de l'INSEE, du parlement, de la sécurité sociale et de la cour des comptes.
Les valeurs ont été volontairement arrondies pour plus de lisibilité.

- Les données sur la fraude et l'évasion fiscale proviennent des rapports de la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales de juillet 2012 et du syndicat national Solidaires Finances Publiques "évasions et fraudes fiscales, contrôle fiscal" de janvier 2013.