samedi 17 août 2013

Les tunisiens seraient-ils des américains ?

L'un des plus saisissants mystères anthropologiques est le désamour que beaucoup de tunisiens nourrissent à l'égard des États-Unis et des américains.
Pourtant la patrie d'Habib Bourguiba est culturellement et sociétalement beaucoup plus proche du pays de Georges Washington que de celui de Charles de Gaulle.
Jugez sur pièces.

Tout d'abord, depuis début 2011, les tunisiens, à l'instar des états-uniens, arborent leur drapeau et chantent leur hymne national à tout bout de champ.
La terre de Brassens n'admet ces démonstrations patriotiques qu'en cas de victoire à la coupe du monde de football, grosso modo une fois par siècle.

Les habitants de l'antique Carthage sont, comme ceux d'outre-Atlantique, des fervents du libéralisme économique.
La preuve, le marchand ambulant Mohamed Bouazizi, icône tragique de la révolution de Tunisie, était un défenseur de la libre initiative économique, injustement entravé dans son envie d'entreprendre par une représentante de l'arbitraire étatique.
Depuis le 14 janvier, des myriades d'entrepeneurs bouaziziens ont envahi les trottoirs tunisiens et même les bas-côtés des autoroutes.
À l'issue des élections d'octobre 2011, le libéralisme viscéral des tunisiens a littéralement pris son envol. Le gouvernement islamico-hétéroclite a réussi brillamment à mettre l'état en panne, alors que la population, par son auto-organisation, empêche coûte que coûte le PIB de décliner.
Nul besoin, comme en France, de faire intervenir les rouages colbertistes d'un ministère des finances ou de l'industrie pour venir à la rescousse de l'économie.

Autre point commun entre l'Oncle Sam et Ibn Khaldoun, les politiciens des deux nations partagent la même absence criante de compétences et la même méconnaissance de l'environnement international.
François Hollande, fort de son bac avec mention et de ses multi-diplômes de HEC et de l'ENA, a bien fait de se présenter aux élections à Tulle, car à Oklahoma City ou à Béja ses chances étaient nulles.

La religion rapproche aussi la Tunisie et les USA.
Dans ces deux pays, la pratique est majoritaire et visible, signe d'une foi profonde et partagée par le plus grand nombre.
À l'inverse, en France, patrie de la laïcité, deux tiers de la population déclare ne pas être croyante et moins d'un français sur vingt participe régulièrement à des rites religieux.
Comment, dans ces conditions, imaginer voir à Paris, contrairement à Tunis et San Francisco, les pare-brises des taxis arborer la mention "Dieu est grand" ou les billets de banque rappeler "qu'en Dieu nous croyons" ?

Trois éléments anecdotiques révèlent, encore plus, la profonde communion intellectuelle reliant les habitants du Cap Bon ou du Sahel à ceux du Texas ou de Californie.

La boisson préférée du pays du jasmin est le gazouze, c'est à dire le soda en canette à teneur minimale en sucre garantie dont raffolent les américains. Les meilleures ventes sont réalisées par les marques originaires d'Atlanta Coca-Cola et Fanta.

Depuis une sacrée lurette, l'automobiliste tunisien a abandonné l'ancestrale Peugeot 404 bâchée, dernier relent de la présence coloniale française, au profit de pickup trucks, emblèmes des red necks. Chaque année, la taille de ces gouffres à essence et de leurs pneus s'accroît. Les plus récents ne seraient pas ridicules dans les rues de Nashville ou de Baton Rouge.

Enfin, malgré les nombreux italiens présents durant le protectorat et la proximité de la Sicile, la Tunisie, au rayon café, a préféré délaisser le succulent expresso au profit d'un breuvage noirâtre et insipide que ne désavouerait pas un new-yorkais.

Pour conclure, je tiens à rassurer le lecteur que cette chronique aurait angoissé.
La Tunisie n'est pas encore complètement devenue le cinquante-deuxième état fédéré américain.
Pour résorber votre angoisse, il vous suffit de traverser Kelibia à pied, en voiture, ou mieux en mobylette. Vous constaterez alors deux ou trois menues différences de comportement routier par rapport à Memphis, Tennessee.

Tuniso-americainement votre

Références et compléments
- Au delà de la caricature ci-dessus, il existe, depuis le dix-neuvième siècle, d'authentiques libéraux en Tunisie, cherchant à réaliser une synthèse entre pensées arabo-musulmanes et occidentales, sur les plans politiques et économiques.
Pour aller plus loin et découvrir un courant original, peu connu et revigorant en cette période grisâtre que traverse la Tunisie, je recommande la visite du site de l'Institut Kheireddine et du compte Twitter d'Habib M. Sayah @Habsolutelyfree, son principal animateur.