lundi 9 juin 2014

Faut-il remplir les prisons pour réduire la délinquance ?

L'examen parlementaire de la nouvelle loi pénale dite Taubira a ravivé le sempiternel débat entre les tenants de la répression et les supporters de l’humanisme.
Goûtant toujours aussi peu les dogmes et fidèles aux habitudes de ce blog, j’ai cherché à départager les deux camps grâce aux statistiques et aux comparaisons avec nos voisins européens.

En quelques clics, l'excellent site de la communauté européenne Eurostat fournit deux séries de données, le nombre de personnes incarcérées par pays ainsi que la quantité d’infractions déclarées annuellement aux forces de police.
En divisant ces chiffres par la population de chaque état, on peut comparer des politiques judiciaires et carcérales très diverses.

En Europe, en permanence, 1 personne sur 700 dort en prison, soit grosso modo un total de 800 000 taulards, l’analogue de Marseille, d’Amsterdam ou d’un petit Turin.

La France se situe nettement en dessous de la moyenne avec un ratio de 1/1 000, soit environ 65 000 détenus, l’équivalent de Troyes, Valence, Mérignac ou Levallois-Perret.
Belgique, Grèce, Italie, Portugal et Croatie font sensiblement aussi bien que la patrie des droits de l’homme.
Allemands et hollandais mettent en taule 20% moins souvent.

Slovènes et finlandais sont nettement moins répressifs. À Helsinki ou à Ljubljana, on n’enferme qu’une personne pour 1 700 habitants.

À l'inverse, Royaume-Uni, Espagne et Roumanie coffrent 1.5 plus fréquemment qu'en France.
La palme du bouclage est détenue par les baltes. En Lettonie et Lituanie, pourtant peu réputées pour leur ensoleillement, 1 habitant sur 300 est autoritairement mis à l'ombre.

Mesurer la délinquance est beaucoup plus compliqué que de compter les types retenus derrière des barreaux.
Grosso modo, deux méthodes existent pour évaluer la criminalité.

La première, que les spécialistes baptisent plaisamment enquêtes de victimation, consiste à demander à un échantillon, que l’on espère représentatif de la population, si on lui a fait du mal récemment.
Ce type d’analyse possède les avantages, mais surtout les défauts, des sondages d'opinion.
Seules les déclarations des personnes qui répondent sont prises en compte, sans possibilité de recouper leurs dires. Les biais sont nombreux et dans tous les sens possibles.
De surcroît, ces questionnaires ne concernent qu’un nombre limité de pays, avec des méthodologies variées, ce qui rend les comparaisons illusoires.

La seconde manière de procéder est de dénombrer les déclarations officielles déposées par les victimes supposées auprès des services de police.
Là encore, les biais sont légion.
La confiance dans la police, sa probité et son efficacité varie grandement en Europe.
De surcroît, les incitations à porter plainte sont très diverses. Par exemple, le signalement des cambriolages à la maréchaussée dépend de la couverture d’assurance et de l’exigence ou non par les compagnies d’un papier officiel pour procéder à l’indemnisation.
Malgré tous ses défauts, le taux d’infractions déclarées par habitant est le seul indicateur statistique réellement international.

Annuellement, les européens indiquent à la police de l’ordre de 30 millions d’infractions, près de 2.5 fois la quantité de voitures neuves immatriculées.
Autrement dit, une personne sur 20 se rend chaque année dans un commissariat pour porter plainte, soit un ratio de 50 faits délictueux déclarés pour 1 000 habitants.
L’entourage familial, amical et professionnel de chacun d'entre nous comprend, en moyenne, entre 100 et 300 personnes. Aussi, trimestriellement, voire mensuellement, nous connaissons personnellement quelqu'un ayant contacté les forces de l’ordre pour un dommage ou une agression.
Cette fréquence relationnelle nourrit le sentiment d’insécurité.

Dans ce domaine, la France, à l’instar de l’Italie, du Portugal, de l’Espagne ou de la Hongrie, se situe juste sur la moyenne européenne.
Anglais et allemands se rendent plus souvent chez les pandores, avec des taux respectivement de 65 et 75 plaintes pour 1 000 têtes de pipe.

La Suède est championne d’Europe de la plainte avec 150 déclarations pour 1 000 habitants. Chaque année, les collègues du commissaire Wallander reçoivent un citoyen sur 7. Pas étonnant qu’ils apparaissent légèrement neurasthéniques dans les romans policiers.

À l’autre extrémité de l'échelle, les policiers grecs, bulgares, roumains et baltes ne sont que modérément interpellés par leur population. À peu près une personne sur 50 seulement consent chaque année à leur donner du travail.

En croisant les statistiques européennes de prisonniers et d’infractions déclarées, on obtient une vue d’ensemble passablement hétérogène.

Comparaison européenne des ratios pour 1 000 habitants de prisonniers et d'infractions déclarées à la police (chiffres Eurostat 2012)
[Cliquer sur l'image pour l'agrandir]
Sans lunettes, le nuage de points donne l’impression que beaucoup coffrer diminue les plaintes.
Toutefois, à y regarder de plus près, les exceptions pullulent.
Suède et Norvège ont le même taux d’incarcération, alors que les plaintes y varient d’un facteur 3.
Autre exemple, on emprisonne 3 fois plus en Lituanie qu'en Grèce avec un ratio similaire d'infraction déclarées.

Avec des chiffres aussi peu probants et autant sujets à caution, les discussions enflammées sur le degré nécessaire de répression pénale ne vont pas se tarir de sitôt.
Peut-être s'agit-il d’un sujet trop passionnel pour que nous l'abordions sereinement ...

Sarkotaubiriquement votre

Références et compléments
- Voir aussi les chroniques :
. Quand sondage rime avec bidonnage
. Pauvre Claude G. !

- Les valeurs présentées dans cette chronique proviennent des chiffres 2012 d'Eurostat. Les ratios ont été arrondis pour faciliter leur compréhension.

- Les pays européens sont nommés sur le graphique par leurs codes ISO.