samedi 28 février 2015

Cartographie d'un français de souche

Les gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts,
La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Georges Brassens
Récemment, François Hollande a employé l'expression "français de souche" pour désigner les jeunes crétins qui ont saccagé plusieurs dizaines de tombes et hurlé "Heil Hitler" dans le cimetière juif de Sarre-Union en Alsace.

Cette formule, prisée par l'extrême-droite, m'a laissé perplexe.
En effet, le Trésor de la Langue Française Informatisé indique que souche signifie "base du tronc d'un arbre prolongée par ses racines".
Jusqu'à plus ample informé, chaque titulaire de la nationalité française possède des parents - base de son propre tronc - et des racines.
Aussi "français de souche" ressemble furieusement à un pléonasme, puisqu'il parait difficile d'imaginer une personne, même dotée de l'incomparable génie français, sans souche.

À bien y réfléchir, notre président - soucieux de tourner la page Charlie pour aller refroidir le climat - a surement voulu clore au plus vite son discours en raccourcissant la trop longue locution "français de souche française".
Car certains de mes compatriotes ont des parents et des racines exclusivement hexagonales, quand d'autres sont d'ascendance américano-belge, finlandaise, serbo-croate, néerlandaise, grecque, hispano-tamoul voire arabe !

À demi-convaincu par cette explication, je m'en suis ouvert auprès de mon entourage.
De bons esprits m'ont savamment expliqué qu'effectivement l'aspect français de la souche était sous-entendu dans le propos hollandais et que l'expression permettait de différentier les pieds d'arbre bleus-blancs-rouges de ceux juifs ou musulmans, beaucoup plus basanés.
J'avoue n'avoir pas compris la logique de cette classification qui amalgame allègrement nationalité et religion.
En la poussant un peu plus loin, il y aurait donc aussi des souches catholiques, protestantes, bouddhistes, hindoues, agnostiques et même athées.
Une pincée de génétique ne pouvant pas faire de tort, je trouve que l'importance donnée aux souches à la chevelure brune, aux yeux marrons, myopes et daltoniens ainsi qu'avec une prédisposition naturelle à la fainéantise est par trop insuffisante.

Perturbé par ce désintérêt et cette sémantique floue, j'ai finalement entrepris, pour me remettre les idées en place, de cartographier ma souche personnelle.

Venu au monde à Paris, de père et de grand-père tout deux nés aussi à Lutèce, je pensais jusqu'alors que la gauloisitude de mon pedigree n'avait d'égal que celle de ma moustache - encore que certains y voient de la polonitude façon Lech Walesa.
À partir de mon arbre généalogique, j'ai placé sur une carte les lieux de naissance connus de mes ancêtres vers 1700, au coeur du règne de Louis XIV, 8 à 9 générations en arrière.

Mes ancêtres vers 1700
Rouge : attesté aux alentours de cette date.
Vert : attesté après 1700 (branche généalogique interrompue).
Bleu : attesté avant 1700.
Noir : non formellement attesté mais très probable vers 1700.
Le résultat est pour le moins dispersé.
D'ouest en est, on repère successivement :
  • La Normandie, vers Avranches.
  • Les confins de l'ancienne Bretagne, désormais département de l'Ile et Vilaine, et de la province du Maine, devenue Mayenne.
  • La Sologne, au sud d'Orléans.
  • Le Berry, autour de Bourges, de la Châtre et de Vallon en Sully.
  • Le Bourbonnais, à l'ouest de Montluçon.
  • Paris.
  • La vallée de l'Oise.
  • Les Ardennes, des deux côtés de la frontière franco-belge, pourtant tracée par Louis XIV en 1697 à l'issue des traités de Ryswick.
  • La Savoie, qui ne devint française qu'en 1860 et dont les ducs, qui régnèrent à Turin après Chambéry, s'auto-promurent rois d'Italie à cette occasion.
  • L'Alsace qui eut, du quinzième au vingtième siècle, des propriétaires nombreux, enchevêtrés et changeants.
  • La vallée du Rhin aux alentours de Mayence en Allemagne.
  • La Galicie aux limites entre l'empire des Habsbourg et celui des Tsars russes, aujourd'hui partagée entre Pologne, Slovaquie et Ukraine.
Bref, ma souche, à l'instar de celles de beaucoup d'arbres, est sérieusement ramifiée et non exclusivement française.
Finalement, ma polonitude moustachière est peut-être moins fortuite que je ne le pensais jusqu'ici.

Souchiquement votre

Références et compléments
- Consulter une version interactive de la carte généalogique de mes ancêtres au début du dix-huitième siècle.

- Voir aussi mes autres chroniques traitant de généalogie, notamment :
. Descendants de sans-papiers morts pour la France en 1914-1918
Généalogie de la croissance - L'histoire familiale raconte l'économie et la démographie
. Un enfant c'est un papa et une marâtre

- Mes pages de généalogie