mercredi 29 juillet 2015

Cochonou vs éleveurs : dans le cochon tout est bon mais tout n’a pas la même valeur

Ces dernières semaines, en France, les manifestations chroniques de colère des éleveurs de porc et de bœuf contre la précarisation de leur situation ont repris de l'ampleur.
Dans le même temps, les 2CV à damiers rouges et blancs de la marque de charcuterie Cochonou continuaient à connaître un vrai succès populaire au coeur de la caravane publicitaire du Tour de France.
Ces faits concomitants illustrent, à la limite de la caricature, les rouages de l’économie concurrentielle.
Voyons cela de plus près.

La viande c'est surtout du service

Qu'on le regrette ou non, le mode de vie rural a beaucoup perdu de son attrait et de sa démographie. Désormais, peu d'entre nous ont encore le temps et surtout l'envie de mettre à mort, découper et charcuter un cochon ou un bœuf.

Par voie de conséquence, la valeur de la préparation et de la distribution de la viande est beaucoup plus élevée que celle qui revient à l’éleveur.
Nos choix collectifs débouchent sur un rapport de 1 à 10 entre le cochon entier vendu en masse et aux enchères autour de 1.30 €/kg et le saucisson prêt à l’usage disponible au détail dans mon hypermarché préféré le mercredi 29 juillet à 18H47 tarifé autour de 12 à 16 €/kg.

En dépit de la vision romantico-écologique que nous pouvons avoir, 90% de la valeur d'un steak réside dans les services qu'il incorpore.
Cela signifie aussi que les entreprises situées en aval de l'élevage emploient nettement plus de personnes que l'agriculture.

La viande c'est aussi de l'image

Bien que piètre amateur de charcuterie, je suis prêt à parier le bob rouge et blanc glané sur le Tour de France que, lors d'un test en aveugle, rares sont les personnes qui préfèrent, sans hésitation, les charcuteries labellisées Cochonou à leurs concurrentes vendues dans les mêmes rayons de la grande distribution.

Pourtant, les sauciflards à damiers rouges et blancs sont, d'après mon dernier pointage, vendus sensiblement 10% au dessus de la moyenne des prix pratiqués.

Les actions promotionnelles de Cochonou atteignent apparemment leur cible et accroissent la valeur d'une charcuterie banale en lui ajoutant un supplément, si ce n'est d'âme, a minima d'image.
Des réminiscences d'années 1960 alliées à une vague aura d'authenticité et de convivialité valent autant pour les clients de Cochonou que le travail de l'éleveur.

Citroën 2CV de Cochonou lors de la caravane publicitaire du Tour de France 2013

La viande c'est avant tout du libre choix

Chaque année, mes étudiants à qui je présente ce type de faits me rétorquent que "le marketing nous force à acheter" et que personnellement ils ne cèdent jamais aux stupides sirènes des marques.

Le premier argument est proprement anti-démocratique.
Si nous ne possédons ni la volonté, ni le libre-arbitre pour résister à la séduction vendeuse d'une tranche de jambon, il faut d'urgence nous empêcher de succomber au racolage politique de Hollande, Sarkozy, Mélenchon et Le Pen réunis.
De la même manière, la pratique du mariage arrangé doit redevenir la norme.

La seconde objection ne survit généralement pas à une observation attentive de l'objecteur.
Il est rare qu'il n'ait pas sur ou avec lui plusieurs objets siglés d'un logo.
La justification fuse aussitôt. Ces chaussures particulières ou ces vêtements ou ces stylos ou ces téléphones ou ces lunettes ou que sais-je encore, c'est ... différent !
Quelques questions complémentaires permettent de vérifier que, sauf très rares exceptions, l'achat de ces objets de marque n'est pas le fruit de tests comparatifs détaillés ou d'études de marché approfondies.

La réalité est plus prosaïque. Nous achetons tout simplement ce qui nous plait et que nos moyens nous permettent d'acquérir.

Ce mécanisme - plaisamment baptisé libre choix - est simultanément conscient et inconscient et fait appel, en proportions très variables, à nos connaissances, valeurs et croyances, indépendamment de leur véracité factuelle.
Certes, le marketing cherche à nous influencer mais nous n'y cédons que lorsque cela nous chante, c'est à dire trop peu souvent au goût  des marques.
Le rêve de Cochonou, que nous mangions du cochon rouge et blanc matin, midi et soir, 7 jours sur 7, n'est guère exaucé.
Pire même, ces deux dernières décennies, en France, à l'instar du reste de l'Europe et même des USA, la consommation de viande par personne a diminué sensiblement d'un cinquième.
Collectivement, nous avons librement décidé de manger autrement.

La viande, pour en vivre, c'est d'abord de la stratégie

Face à ces réalités du comportement des clients, seuls les éleveurs capables de réviser de fond en comble leur stratégie se sortiront du mauvais pas actuel.
Les autres, irrémédiablement, continueront à souffrir, voire à disparaître.

Une stratégie gagnante doit d'abord être centrée sur les clients.
La question essentielle est comment différentier positivement la viande de la ferme X ou du groupe d'élevages Y à leurs yeux ? Comment les amener à acheter ce produit plutôt qu'un autre ? Comment les conduire à payer plus ?

Cela peut provenir de meilleures productions de type bio ou appellation d'origine, de création de marques à forte image comme ce que fait Cochonou ou encore de modes innovants de distribution incluant beaucoup des services que les agriculteurs ne rendent pas actuellement.

Une stratégie efficace peut aussi chercher à peser sur les coûts par un grossissement des exploitations voire, osons le mot, une plus grande industrialisation ou bien aussi par la création de groupements d'achat, notamment de nourriture animale.

Les éleveurs peuvent, en outre, s'associer ou, mieux, fusionner en groupements de vente de bétail pour changer en leur faveur le rapport de négociation avec industriels et distributeurs.

Les voies de rebond sont nombreuses.
Toutefois, aucune ne passe par le maintien d'exploitations d'élevage de taille modérée, produisant, sans autre valeur ajoutée, de la viande indifférenciée de qualité banale.

Cochonniquement votre

Références et compléments
- Voir aussi la chronique Tour de France carnaval des transgressions