samedi 13 février 2016

Un porte-conteneurs est-il plus écologique qu'une Twingo ?

​Porte-conteneurs géants, début de construction de l'autoroute de la soie pour relier Chine et Europe, projet de tunnel sous le détroit de Béring...
Les transports internationaux sont en effervescence.


Au delà des considérations géopolitiques et des défis techniques que soulèvent ces nouveautés, j'ai souhaité aborder l'aspect énergétique et écologique.

Les porte-conteneurs, mastodontes frugaux

Ces navires démesurés impressionnent par leur gigantisme.
Les plus récents, longs de 400 mètres et armés par moins de 20 personnes, emportent 18 000 conteneurs, c'est à dire, grosso modo, l'équivalent de 9 000 camions semi-remorque.
Ils effectuent les 20 000 km de traversée entre la Chine et l'Europe en une grosse trentaine de jours.

Porte-conteneurs géant Bougainville aux environs de Hambourg (photo Wikimedia Commons)
Le passage à la pompe d'un tel rafiot réjouit les émirs pétroliers.
Pour aller de Shenzhen au Havre, la consommation s'élève à pas moins de 4.5 millions de litres de fuel, soit 100 000 pleins de ma Twingo diesel.
Chaque voyage absorbe l'énergie dépensée annuellement par 1 500 français.

Toutefois, ces chiffres astronomiques masquent une grande efficacité.
Transbahuter 100 kg au sein d'un conteneur entre le pays de Confucius et celui de Descartes ne demande qu'un peu plus de 4 kg de CO2.
Autant que pour les véhiculer en camion sur 1 500 km.

Tout est dans l'effet d'échelle, le transport de marchandises équivalentes par péniche requiert 6 fois plus de combustible.

Pour être complet, il convient de préciser que si les porte-conteneurs sont économes en carbone, ils recrachent des volumes importants de dioxyde de soufre et de particules fines car le fuel lourd qu'ils emploient est une immonde cochonnerie plus proche du goudron que du carburant pour Formule 1.
La photo ci-dessus montre d'ailleurs un intéressant panache de fumée noirâtre.

Les poids-lourds, flexibles mais gourmands

Si, après-demain, l'autoroute de la soie est construite, la Cité Interdite se trouvera à 10 000 km terrestres de la Tour Eiffel.
Avec un système de relais de chauffeurs, le fret devrait mettre environ 8 jours entre les capitales chinoises et françaises.

Ce gain de temps et la plus grande finesse de choix des points de départ et d'arrivée sera loin d'être gratuite.
Les coûts salariaux seront 2 000 fois plus importants que pour un trajet maritime et la dépense énergétique 10 fois plus élevée, autour de 40 kg de CO2 pour 100 kg.

Le train, un excellent compromis

Sur longue distance, le ferroviaire pourrait s'avérer un client sérieux.
Vitesse commerciale plus qu'honorable et régularité - 4 à 5 jours de Beijing à Paris sont imaginables - se conjuguent avec une sympathique efficacité énergétique.

Tracté au diesel ou mu par de l'électricité d'origine thermique, un train émet 3 fois plus de CO2 pour une même cargaison qu'un porte conteneur mais quand même 4 fois moins que des semi-remorques.

Alimentés par de l'électricité non carbonée, c'est-à-dire hydraulique ou nucléaire, les cheminots battent les marins et leurs navires géants à plates coutures.

Seul bémol, le rail demande plus d'investissements que la route ou la mer.
Un porte-conteneurs géant ne coûte qu'entre 100 et 500 km de voies ferrées.
De surcroît, la production électrique est encore plus vorace en finances. Une centrale thermique, suivant sa taille, vaut de 3 à 15 bateaux géants.

La voiture, gloutonne méconnue

Même les toutes petites cylindrées ne réussissent pas à rivaliser avec les transports de masse.

Si je rabat les sièges de ma Renault Twingo et que je la charge à bloc, les 400 kg embarqués demanderont par kilomètre parcouru autant de gazole que 50 tonnes acheminées par porte-conteneurs ou que 4 tonnes roulant dans un camion.

L'avion, quoiqu'un peu moins mauvais, tient compagnie à la bagnole en queue de peloton.

Shenzhen - Rotterdam, Rotterdam - Lyon et Lyon - Grenoble même combat !

Distance en kilomètres pouvant être parcourue par 100 kg de marchandises pour une même émission de 4 kg de CO2 en fonction des modes de transport.
30 000 km en train alimenté par de l'électricité non fossile ou 150 km en voiture individuelle ont le même impact carbone.

Pour rendre ces données plus palpables, je vous propose pour conclure un petit scénario récapitulatif.

Un tailleur de clefs à pipe du sud de la Chine réussit à séduire un importateur hollandais à qui il expédie un conteneur rempli à ras bord de ces denrées coudées.
Le transport transcontinental requiert 4 kg de CO2 pour 100 kg de quincaille.

L'entreprise batave trouve un distributeur au coeur de la nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne qui se fait fort de fourguer un semi-remorque complet de ces superbes outils.
Cette partie du trajet demande elle aussi 4 kg de CO2 pour 100 kg de camelote.

Tel le bon samaritain soucieux de plaire à son entourage, j'effectue une commande groupée que je vais chercher avec ma voiture personnelle dans la capitale des Gaules afin de la ramener et la disperser dans celle des Alpes.
Ce dernier parcours nécessite, comme ses prédécesseurs, 4 kg de CO2 pour 100 kg de clefs à pipe chinoises.

Carboniquement votre

Références et compléments
Voir aussi les chroniques :

Merci à Laurent qui m'a soufflé le thème de cette chronique et qui, en retour, devrait être soufflé par les chiffres qui y figurent.

Probablement admiratifs de cette chronique, les très démocratiques gouvernements chinois et iraniens ont le 15 février 2016 (2 jour après la parution de ce billet) ouvert une "route de la soie" ferroviaire en reliant par train de fret Beijing à Téhéran via l'Asie Centrale en 14 jours.
Plus de détails grâce à l'AFP en suivant ce lien.

Les données proviennent :
L'image du porte-conteneurs Bougainville de CMA CGM provient de Wikimedia Commons. Elle a été diffusée par "Buonasera" et est couverte par une licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported.