lundi 11 février 2013

Un enfant c'est un papa et une marâtre

Les arguments des adversaires et partisans du mariage dit pour tous sont étonnamment similaires.
Les opposants à l'union des gays devant monsieur le Maire expliquent que la famille nucléaire monogame - un père, une mère et leurs enfants - a été, depuis des lustres, le pilier inamovible de la société et de l'ordre naturel.
Dans le même temps, les supporters du mariage homosexuel revendiquent la même normalité matrimoniale pour les couples de même sexe que pour les hétérosexuels.
Au risque de peiner les militants des deux bords, histoire et généalogie proposent une vision des familles de notre passé éloignée de ce charmant idéal.

Lorsque je fais le compte de mes ancêtres nés entre 1750 et 1900, l'enfance de la moitié d'entre eux ne s'est pas déroulée au sein d'un foyer type regroupant simultanément leur père et leur mère unis par les liens sacrés du mariage.
Les registres d'état-civil que j'ai consulté montrent que mes aïeux n'étaient, sur ce point, en rien différents de leurs contemporains.
Voyons cela en détail à l'aide d'exemples issus de ma généalogie personnelle.

La très forte mortalité au long de la vie qui a persisté jusqu'après, grosso modo, 1945 était un puissant facteur de rupture des couples. Les veufs et les veuves ont toujours été légion et les remariages suite à un décès étaient la norme.
En moyenne, environ un tiers des familles subissaient veuvage et remariage. Parfois, mauvaises récoltes, pauvreté et épidémies faisaient grimper ce taux autour de 50%.
Beaucoup d'enfants étaient élevées par leur marâtre, terme qui, peu à peu, de descriptif est devenu péjoratif. Ainsi, Marie-Claire Lelaurin, se marie à Nouvion dans les Ardennes le 16 février 1802. Le 22 novembre, elle accouche de son fils Philippe-Joseph Lenoir, puis décède 10 jours plus tard. Son mari, André Lenoir se remarie en 1805 avec Marie-Jeanne-Sophie Cabaret. Ce nouveau couple aura, en tout, sept enfants et élèvera Philippe-Joseph.
Autre cas, Nicolas Midoux, né en 1732, à Auvillers les Forges aussi dans les Ardennes, s'est marié une première fois en 1761 avec mon aïeule Marie-Louise Millet qui décédera 9 ans plus tard après avoir accouché de 4 enfants. Nicolas Midoux se remarie ensuite en 1776 avec Marie-Jeanne Neveux, alors enceinte de 6 mois. Huit ans plus tard, un autre rejeton naîtra de cette union.

Les abandons d'enfant, quoique nettement moins fréquents que les veuvages, ont été importants, même au XIXème siècle.
Ces enfants rejetés étaient pris en charge par des institutions religieuses ou étatiques qui, très souvent, les plaçaient très jeunes comme domestiques.
Mon arrière-arrière-grand père, Sylvain Beaujardin, a été "trouvé" devant la porte de l'hospice civil d'Avranches dans la Manche le 9 janvier 1834, "apparemment nouveau-né". Son nom et son prénom ont été choisis par le maire de la ville lors de son inscription à l'état-civil. Je n'ai malheureusement pas réussi, à ce jour, à retrouver trace de l'enfance et de l'adolescence de cet ascendant.

Les "enfants naturels" et les "filles-mères" enduraient, eux aussi, un sort peu enviable.
Les jeunes femmes qui avaient le malheur d'être enceintes sans pouvoir se marier avec le géniteur de leur enfant étaient mises au ban de la société.
Dans beaucoup de régions, comme la Savoie, les enfants "naturels" étaient soustraits à leur mère dès leur naissance et confiés à des familles où ils vivaient avec un statut proche de la servitude.
Ce fut le sort de mon arrière-arrière-grand-mère Françoise Arbenne-Reinier, née à "l'hospice de maternité" de Chambéry le 28 juillet 1837. Nourrisson  elle fut confiée à une famille paysanne des Bauges. Le plus tragique est que Suzanne Lieutar, sa mère, qu'elle n'a jamais connu, était-elle même une "fille-mère" née dans des conditions similaires au même endroit en 1813.
Portrait de Françoise Arbenne-Reinier, mon aïeule vers la fin de sa vie aux alentours de 1920.
Les personnes vivant dans une forte pauvreté ou dans une certaine marginalité éprouvaient beaucoup de difficultés à se marier, ce qui accroissait leur exclusion sociale et celle de leurs enfants. Cette situation a perduré jusqu'à environ la première guerre mondiale.
Âgée d'une vingtaine d'années, la même Françoise Arbenne-Reinier finit par fuir sa Savoie tristement natale pour l'actuel Val de Marne en compagnie de Victor Mermet, un des fils de sa soit-disant famille d'accueil.
Ils s'établirent à Périgny comme "manouvriers" (ouvriers agricoles) et eurent deux enfants sans être mariés. Malheureusement, Victor décéda prématurément en 1864 alors que Françoise était à nouveau enceinte. La Savoie n'étant rattachée à la France que depuis 4 ans, un certain flou régnait dans l'état-civil que mon ancêtre mit à profit pour se déclarer veuve et ainsi bénéficier d'un semblant de statut social.
Cinq ans plus tard, à l'occasion de son vrai faux remariage avec Sylvain Beaujardin, l'officier d'état-civil flairant que la dite veuve ne l'était guère fit signer à ce dernier une sorte de décharge dans la marge de l'acte officiel.

Il en est des structures familiales comme de bien d'autres domaines, un gouffre béant sépare souvent l'idéal des réalités.

Généalogiquement votre

Références et compléments
- A propos de généalogie, voir aussi la chronique "Généalogie de la croissance - L'histoire familiale raconte l'économie et la démographie de la France".
- Au sujet du mariage homosexuel, trois autres chroniques : "Quand sondage rime avec bidonnage", "Union nationale pour tous" et "Mariage pour beaucoup ou pour quelques uns ?".
- Toutes les personnes évoquées dans cette chronique apparaissent dans la "Généalogie et arbres généalogiques des familles Kedous, Lebouc, Lenoir, Najar et apparentées".