samedi 16 mars 2013

En 1848, la France révolutionnaire renvoyait les savoyards chez eux

Autres temps, autres mœurs proclame la sagesse ancestrale des nations.
Personnellement, j'en doute et inclinerais plutôt en faveur de l'éternel bégaiement de l'histoire.
Pour preuve, les troublants échos de l'épisode révolutionnaire français de 1848 avec le passé récent, tant dans l'Hexagone qu'en Tunisie.

En février 1848, trois jours d'émeutes et de fusillades à Paris poussent le roi Louis-Philippe en bout de course vers l'exil.
Profitant de la confusion, républicains, libéraux et socialistes, avec le poète Lamartine à leur tête, abolissent la monarchie, proclament la République et établissent un gouvernement provisoire.

Mal préparés, les révolutionnaires font face à de nombreuses difficultés, notamment un chômage ouvrier massif et un mécontentement social explosif.
Pour tenter de faire baisser la pression, le gouvernement crée une commission hétéroclite qui va accoucher des Ateliers Nationaux, structure publique d'embauche des sans-emploi. Ceux-ci sont employés dans des chantiers sans véritables buts. Faute de financement, l'expérience dure trois mois et s'achève dans la répression anti-syndicale.

Dans les grandes villes, l'immigration économique, qui a commencé en France dès la fin du XVIIIème siècle, bat déjà son plein. Les nouveaux républicains doivent faire face à des demandes contradictoires.
De nombreux ouvriers réclament ouvertement l'expulsion des étrangers qui "volent le travail des français".
Ainsi, une affiche anonyme qui orne les murs de Paris, s'en prend ouvertement aux savoyards, alors sujets de la monarchie de Turin, le royaume de Piémont-Sardaigne.
    "Des étrangers, les Savoyards inondent la capitale.
    Cette peuplade envahissante porte un grand préjudice au pays, ne serait-il pas temps d'y mettre un terme et d'arrêter ce torrent qui déborde sur la France.
    Le gouvernement doit protection à la classe ouvrière. Est-il juste que des étrangers viennent moissonner les ressources du pays ? [...]
    Les pièces de 5 francs rentrent dans leur gousset et n'en ressortent plus ! [...]
    En Savoie, ils appellent la France leur Californie ! Expatriez-vous Français ! Faites place aux Savoyards ! [...]
    S'ils n'étaient pas là, on ne verrait plus d'ouvriers sans ouvrage, plus de domestiques sans place, plus de vagabonds. Il y a parmi eux des fils de fermiers, des gens aisés. Seuls les malheureux restent dans leur pays pour cultiver les terres. [...]"
Dans le même temps de nombreuses délégations d'étrangers - savoyards mais aussi italiens, polonais et même irlandais - demandent au gouvernement provisoire de prendre la tête d'un mouvement de libération de leur pays et de mettre en pratique la solidarité internationale revendiquée durant l'opposition au régime de Louis-Philippe.
Alphonse de Lamartine se charge de leur expliquer que le temps doit d'abord suspendre son vol et qu'il est urgent d'attendre. L'écrivain, devenu apprenti politicien, déclare même que "nous l'avons dit et nous voulons que les paroles de la République soient des paroles de vérité : nous ne romprons pas la paix du monde !".
Le gouvernement provisoire incite toutefois les étrangers chômeurs à rentrer dare dare dans leur patrie. Pour ce faire, il octroie des passeports gratuits et verse même des indemnités de route, prototype de l'actuelle aide au retour.

Les nouvelles autorités de Lyon réussissent le tour de force de faire encadrer 1 300 chômeurs savoyards par environ 200 "voraces" - version locale des "exagérés", terme alors usité pour ce que nous nommons extrême-gauche - et à expédier ce beau monde à pied à Chambéry afin d'y proclamer la République Française et d'arracher la Savoie à son monarque.
Cette troupe improbable et à peine armée atteint la capitale savoyarde en cinq jours et prend sans résistance la ville le 3 avril 1848.
Le lendemain, les paysans des alentours dirigés par leurs curés rétablissent, aux cris de "à bas la république, vive le Roi", le pouvoir de la monarchie piémontaise. Pour faire bonne mesure, ils lynchent une douzaine d'exagérés et expédient un millier de personnes en prison.
Magnanime, le gouvernement de Turin, en pleine guerre ratée avec l'Autriche, les fait élargir dans la quinzaine suivante.

Fin 1848, alors que la désillusion est forte, les élections amènent au pouvoir une majorité nettement conservatrice.
Louis-Napoléon Bonaparte, neveu du despote corse, devient le premier président de la République Française élu au suffrage universel.
Petit à petit, il étend ses pouvoirs, initialement limités. Le 2 décembre 1852, lors d'un coup de force, il envoie définitivement valser le reliquat d'état de droit et s'autoproclame empereur, en prenant le dossard Napoléon III.
En 1860, en échange de son soutien à la monarchie turinoise dans son unification manu militari de l'Italie, Napoléon III rattache la Savoie et Nice à la France.
Cette annexion fût ratifiée par un référendum hautement démocratique où le oui l'emporta à 99%, malgré une absence massive de bulletins non.
Les savoyards, sous la pression de la pauvreté, continuèrent à émigrer massivement dans les grandes villes françaises où il n'étaient plus étrangers.

Républicainement votre

Références et compléments
- Je remercie "Catherine de Savoie" dont l'envoi du texte de l'affiche parisienne anti-savoyards est au point de départ de cette chronique.
- Beaucoup de détails historiques proviennent du site web de l'UMAS (l'Union Mondiale des Associations de Savoyards).
- Une de mes ancêtre, Françoise Arbenne Reinier, a fait partie de ces nombreuses personnes ayant émigré de Savoie vers Paris. J'ai brièvement évoqué sa biographie tragique dans la chronique "Un enfant c'est un papa et une marâtre !".
- Les articles historiques et philatéliques du site histoirepostale.net sur la Savoie et le comté de Nice.