jeudi 30 mai 2013

Une voiture est-elle moins chère qu'un cheval sous Louis XV ?

Jusqu'à l'invention du chemin de fer puis du moteur à explosion au XIXème siècle, le cheval était le seul mode de transport terrestre un tant soit peu efficace.

Si, du point de vue des performances, la voiture a surpassé sans conteste le canasson, en est-il de même sur le plan économique ?

Je vous propose d'emprunter la machine à remonter le temps pour examiner cette question.

Vers 1750, dans la région de Rouen, alors que les techniques agricoles commençaient à évoluer et annonçaient la révolution industrielle, les salaires quotidiens des ouvriers s'établissaient à environ une demi livre pour 10 heures de travail, 6 jours par semaine.
Un cheval "d'entrée de gamme" coûtait alors entre 60 et 100 livres, soit 5 à 8 mois de revenu ouvrier.
En "haut de gamme", un destrier avec la force et la prestance pour tirer un carrosse ou transbahuter un officier de cavalerie s'achetait entre 200 et 500 livres, c'est à dire de 1.5 à 3.5 années de travail d'un manœuvre.
Pour posséder un carrosse et sa motorisation équestre, il fallait disposer de 3 000 à 5 000 livres -  20 à 35 ans de labeur ouvrier - suivant que l'on se contentait d'un simple et familial "4 chevaux" ou d'un luxueux "6 chevaux".

Les prix actuels des voitures ne diffèrent guère de ceux pratiqués pour les transports équestres sous le règne de Louis XV.
Renault vend ses Twingo - "4 chevaux fiscaux" - sensiblement 8 000 €, un peu plus de 5 mois de SMIC.
Les berlines s'étagent de 15 000 à 35 000 €, de 1 à 3 ans de salaire ouvrier.
Un Ferrari F12 Berlinetta et une Rolls-Royce Phantom qui valent respectivement 270 000 et 480 000 € - 22 et 40 ans de smicard - s'alignent peu ou prou sur le niveau des carrosses de l'ancien régime.

Si le cheval se compare à l'automobile au niveau de l'investissement, il manque de compétitivité en ce qui concerne les frais de fonctionnement.
Le meilleur ami de l'homme doit se nourrir tous les jours même s'il reste au garage, pardon à l'écurie.
De surcroît, malgré une puissance musculaire que seuls quelques cyclistes professionnels au mieux de leur forme pharmaceutique réussissent à égaler, un bourrin ne peut guère parcourir plus de 30 kilomètres quotidiens.
A l'inverse, une voiture ne consomme que si l'on s'en sert et son rayon d'action n'est limité que par l'épuisement de son conducteur.

Au XVIIIème siècle, suivant l'abondance des récoltes, la ration journalières de paille ou d'avoine pour un canasson valait entre 0.1 et 0.3 livre, soit de 2 à 6 heures de travail ouvrier.
Désormais, une petite voiture nécessite à peu près 2 litres d'essence pour un déplacement de 30 km, soit grosso modo 3 € ou 30 minutes de SMIC, 4 à 12 fois moins qu'un cheval au siècle des Lumières !

Turfico-lasagniquement votre

Références et compléments
Dans la même veine, sur l'évolution des prix et des coûts au fil du temps, les chroniques :

Les données anciennes proviennent du livre "Salaires et revenus dans la généralité de Rouen au 18ème siècle comparés avec les dépenses" publié en 1886 par A. Lefort et reproduit sur le site archive.org.

L'idée d'étalonner (sic) les prix dans la longue durée par des temps salariaux est inspirée du livre de Jean Fourastié & Béatrice Bazil "Pourquoi les prix baissent ?" (Editions Hachette 1984).