lundi 13 mai 2013

Nos ancêtres taguaient les murs de leurs grottes

La créativité est indissociable de l'essor de l'Humanité.
Au fil des âges, nos anciens ont inventé outils, techniques et concepts qui ont permis notre développement. Armes et outils en bois puis en pierre, agriculture, écriture, métallurgie ... La liste est immense !
Plus étonnant encore, nos prédécesseurs ont su produire et partager des représentations du monde qui nous entoure, afin de le rendre plus intelligible mais aussi plus beau.

Ce dernier point apparaît nettement lors de la visite de la grotte espagnole de Covalanas, en Cantabrie, à environ une heure de voiture de Bilbao.
Les parois de cette petite cavité sont ornées des représentations d'une dizaine de biches, d'un taureau et d'un cheval.
Ces dessins ont été exécutés il y a environ 20 000 ans par un artiste droitier et dont la taille dépassait probablement 1.75 m. Il a appliqué, sur les murs de la grotte, son pouce préalablement enduit d'ocre afin d'obtenir des traits et des points de couleur rouge.
Ce procédé très simple, mais ne donnant guère le droit à l'erreur, a pour résultat des silhouettes qui, bien que stylisées, permettent, à des yeux d'aujourd'hui, de reconnaître aisément les animaux et de ressentir une impression de mouvement.
Biches et cheval de la grotte de Covalanas (Cantabrie - Espagne)
Photo de Pedro Saura issue du site web de la grotte [droits réservés]
Quotidiennement, nous sommes exposés à des dessins qui, en quelques traits, campent une scène ou des personnages. 
Toutefois, 20 à 30 millénaires en arrière, nos ancêtres les premiers peintres rupestres ont du concevoir, sans aucune référence préexistante, cette manière de symboliser la réalité. Ce type de représentation nous parait aujourd'hui parfaitement naturel mais c'était loin d'être le cas au paléolithique.
Jugez sur pièces :

- D'un point de vue pratique, les habitants de Covalanas ont du trouver comment dessiner alors que leur environnement ne s'y prêtait pas.
Vivant dans une zone de moyenne montagne calcaire quasi-exclusivement couverte de forêts, ils disposaient de peu de possibilités évidentes pour tracer des traits avec des doigts ou des brindilles car le sol était rarement sableux ou poussiéreux. Seuls les graffitis sur la roche étaient possibles.

- Un dessin est par nature bidimensionnel alors que la nature est d'apparence tridimensionnelle.
Cette restriction de l'espace est un saut conceptuel majeur qui facilite l'expression et la transmission de l'information mais qui suppose de, littéralement, voir le monde autrement.
Pour preuve, les enfants mettent longtemps à produire des dessins à peu près compréhensibles. De même, les cartes routières ou le dessin technique restent de véritables défis pour beaucoup d'entre nous.

- Esquisser des silhouettes est rapide et économe de moyens.
Toutefois, cela suppose que ceux qui verront l'œuvre soient capable de faire le lien entre le symbole - des traits et des points symbolisant le contour externe des animaux - et la réalité de la biche ou du cheval.
Ce sont donc des groupes humains entiers - les peintres rupestres mais aussi leur public - qui, d'abord en taguant des rochers mais, surtout, en les regardant, ont fait entrer l'Humanité dans l'ère du symbole graphique qui perdure encore aujourd'hui.
Étonnamment, cette technique de graffitis monochromes serait apparue au minimum 10 000 ans avant les fresques "remplies" et "coloriées" plus réalistes qui font la réputation des grottes de Lascaux et d'Altamira.
La symbolique semble, au moins en art, avoir précédé le réalisme.

- Dans la même veine, les animaux de Covalanas sont figurés à échelle réduite, approximativement entre 1/8 et 1/20.
Les contraintes matérielles en sont certainement la cause. Très peu de parois sont suffisamment vastes pour accueillir la silhouette à taille réelle d'un ruminant et le temps d'éclairage fourni par des torches est limité.
Là encore, peintres et public ont du, ensemble, créer et comprendre ce principe d'homothétie qui est un des piliers de notre façon actuelle de symboliser et d'interpréter la réalité.

La vie de chasseur-cueilleur troglodyte dans les montagnes de Cantabrie vers -20 000 ne devait pas être une sinécure.
La survie du groupe dépendait surtout des aléas de la nature. Les caprices de la météo soumettaient corps et esprits à rude épreuve. Quant à la capture des animaux, nécessaire à l'alimentation, elle requérait patience, énergie et astuce.
Malgré tout, dans ces conditions hostiles, une poignée de personnes a su trouver le temps et l'inventivité pour symboliser de façon très moderne les animaux de son époque et rendre cette représentation durable.
Encore aujourd'hui, nous vivons de leur héritage.

Paléolithiquement votre

Références et compléments
- La grotte de Covalanas, comme toutes les grottes ornées du Nord de l'Espagne, est inscrite au Patrimoine Mondial de l'Humanité.
Elle est située sur le territoire du village de Ramales de la Victoria, à la lisière entre la Cantabrie et la province de Biscaye (Communauté Autonome Basque).
Je ne saurais trop recommander la visite de cet émouvant chef d'oeuvre.
Afin de préserver les peintures rupestres, le nombre de visiteur de Covalanas est contingenté. De ce fait, la réservation en ligne est indispensable.
- La photo reproduite ci-dessus est de Pedro Saura et provient du site web de la grotte de Covalanas.
- Article du Wikipedia espagnol sur la grotte de Covalanas
- Je suggère aussi la visite sur le web de "From Cave Paintings to the Internet", base de données en ligne sur les différentes dates du développement de l'Humanité, de ses techniques informationnelles et de ses médias (en anglais).