mardi 15 octobre 2013

Rugby opaque et dans le rouge à Grenoble

En France, les collectivités dites locales - communes, métropoles, départements et région - sont des acteurs incontournables de l'emploi, des déficits publics et de la fiscalité.
Pourtant, opacité, gestion hasardeuse et clientélisme y règnent en maîtres, beaucoup plus qu'au sommet de l'état, paradoxalement plus surveillé et mieux administré.

A titre d'illustration et à la demande involontaire de plusieurs twittonautes, je vous propose de revenir sur le cas du rugby professionnel à Grenoble. La situation y est, à première vue, similaire à celle d'autres agglomérations possédant une équipe de sport professionnel de haut niveau.

Avant de développer, je tiens à préciser que je ne nourris aucune ire particulière à l'encontre du jeu à XV. Bien au contraire, j'apprécie ce sport que je regarde régulièrement et je me rends 2 à 3 fois l'an à des matchs du FCG.

Le club de rugby grenoblois est une société privée, dûment immatriculée depuis août 2006. Cette entreprise de spectacle n'est guère florissante et reste durablement dans le rouge.
Son chiffre d'affaire 2011-2012 a été d'un peu plus de 9 millions d'Euros, 14 € de recettes par habitant de l'agglomération dauphinoise.
Les dépenses ayant dépassé les rentrées, en fin d'exercice, le FCG a accumulé une perte annuelle de 350 000 €, 4% du chiffre d'affaire.
Les saisons précédentes, avec une équipe alors en division 2, les pertes oscillaient entre 3% et 10%.

Cette mauvaise santé récurrente confère un bilan très fragile à l'entreprise.
Les dettes atteignent presque 5 fois les capitaux propres, de quoi faire frémir tout prêteur normalement constitué.
Par voie de conséquence, les actionnaires du club - dont la liste est introuvable sur le web - remettent tous les ans plusieurs centaines de milliers d'euros au pot pour maintenir la société à flot.
Que ce mystérieux groupe de donateurs rugbyphiles et philanthropes cesse, ne serait-ce qu'une saison, de cracher au bassinet et le fragile édifice financier s'écroule comme un château de cartes.
De même, une descente en seconde division, dont les rugbymen grenoblois étaient encore pensionnaire il y a 18 mois et qui a arithmétiquement 1 chance sur 7 de se produire, serait probablement fatale au club dans sa structure actuelle.

Malgré cette indéniable fragilité, le FCG envisagerait d'emprunter autour de 6 millions d'euros, 10 fois ses capitaux propres, pour construire de nouvelles tribunes dans le stade Lesdiguières où il joue habituellement.
Il semblerait même que des banques aient accepté d'avancer l'argent et que des montages immobiliers alambiqués permettraient de financer une partie de cette rénovation.
Malheureusement, je n'ai rien trouvé en ligne de probant et factuel sur ce thème.

Opacité et précarité de la situation financière du FCG n'impressionnent pas les élus de la ville de Grenoble et de la communauté d'agglomération plaisamment baptisée "Métro". Ils injectent massivement et régulièrement des fonds publics dans le club.
Le montants exact de nos impôts engloutis dans les cadrages-débordements est réparti - oserai-je dire, camouflé - en de multiples opérations.
La plupart sont noyées dans un verbiage et un classement administratif que la regrettée URSS n'aurait pas désavoué. Plusieurs même sont absentes d'internet, comme les contributions de la "Métro" et les comptes du FCG.
En 2013, il est encore possible de disperser ou de disposer de l'argent des contribuables sans rendre de comptes sur la toile !

Tentons toutefois d'établir un ordre de grandeur du soutien public au rugby professionnel privé grenoblois.

La mairie de Grenoble verse sensiblement 500 000 € de subvention, non au club directement mais à "l'association FCG", officiellement sans but lucratif. Dans d'autres domaines, un tel montage serait qualifié de structure de blanchiment.
Faute de chiffres disponibles en ligne, et en se basant sur la taille des logos publicitaires sur le site du FCG, on peut présumer que la "Métro" octroie un montant similaire au club.

A cela, il faut ajouter la location du stade Lesdiguières.
La municipalité grenobloise s'apprête à accorder un bail emphytéotique de 25 ans d'une générosité absolue puisque le loyer s'élèvera, pour un stade de plus de 10 000 places et ses parages, à un peu plus de 6 000 € mensuels, sans même une clause de révision. Les locataires parmi les lecteurs de ce blog apprécieront.
On peut raisonnablement supposer qu'il manque au moins un zéro au montant de la location. La collectivité fait cadeau d'environ 700 000 € annuels supplémentaires au rugby rouge et bleu, 1 € par habitant.

La facture totale avoisine, en toute opacité, 1.7 millions d'euros par an, 2.6 € par personne résidant dans l'agglomération de Grenoble. Grosso modo, autour d'un cinquième du chiffre d'affaire de l'entreprise privée FCG est assuré par le contribuable dauphinois.

Pour que le tableau soit complet, il faut y adjoindre le coût exorbitant de l'autre enceinte sportive grenobloise - le très récent et très onéreux stade des Alpes - rarement rempli et hébergeant une équipe de football de division 4.
Apparemment - là encore les chiffres étayés manquent - la "Métro" verserait au concessionnaire au moins 1 million d'euros annuels, presque 3 € par contribuable "métropololitain".

Pour faire bonne mesure, il faut toutefois reconnaître que cet argent public crée des emplois, 54 durant la dernière saison pour être précis.
Une rapide division nous indique que chacun de ces jobs, du stadier au pilier, requiert  plus de 50 000 € annuels, 5 SMIC, ponctionnés sur nos impôts.

En conclusion, je suis presque certain que le sport professionnel n'est pas un cas isolé. Je pourrais, hélas, écrire la même chronique mettant en avant la même opacité et la même inefficacité crasse des fonds publics à la fois sur les grands travaux, sur l'urbanisme et sur l'action culturelle.

Rugbystico-contribuablement votre

Références et compléments
- Voir aussi ma précédente chronique "Merci aux élus locaux et à l'équipe de rugby de Grenoble"

- Mes remerciements les plus vifs au Réseau Citoyen de Grenoble qui a recueilli et fourni la documentation ayant servi à la rédaction de cette chronique. Cette association contribue à limiter l'opacité dont nos élus locaux aimeraient s'entourer pour clientéliser en paix.
J'encourage vivement la visite de son site web 2014grenoble.fr.
Le billet "Grenoble a-t-elle besoin d'un nouveau stade prestigieux ?" y détaille le montage complexe et opaque de la rénovation du stade Lesdiguières.

- Ma gratitude va aussi aux twittonautes - ils se reconnaîtront - qui ont défendu, dans un débat passionné en ligne, leurs clubs de football et de rugby favoris. Sans eux, je n'aurais pas repris la plume, pardon le clavier, sur ce thème.

- Sources (et même absence de sources) :
. Site web du club de rugby grenoblois FCG
. Sites web de la Métro et de la mairie de Grenoble
. Données sur la SASP FC GRENOBLE RUGBY (FCG RUGBY) sur le site societe.com. Les chiffres trouvés sur ce site ont été arrondis pour faciliter la compréhension.
. Les données démographiques proviennent de Wikipedia.

- Comme à chaque fois que j'alpague des politiques sur ce blog, je rappelle que ces colonnes leur sont ouvertes pour un droit de réponse. J'invite, notamment, les élus de la Métro à communiquer clairement et totalement les montants alloués au FCG.
De même, si par extraordinaire, le FCG souhaitait publier ses états financiers complets et détaillés, je me ferai un devoir de les reproduire.