mardi 25 février 2014

L'adieu au papier

Sous le double effet du réchauffement climatique et de prochains travaux, le dernier week-end a été consacré à un nettoyage de printemps à grande échelle.

La tâche s'est avérée digne d'Hercule.
À l'insu de notre plein gré, étagères, placards et recoins se sont ingéniés, en une vingtaine d'années, à se bourrer à bloc de papiers divers et, souvent, avariés. Livres, bien sur, mais aussi cours, cahiers et polycopiés de tous niveaux académiques, lettres, factures, cartes routières, photos. Ne manquait à l'appel de la poussière qu'un raton-laveur en origami.

La tentation première fut de tout conserver ou presque.
Tel ouvrage mériterait assurément d'être relu ... un jour ... lorsque j'aurais un peu de temps ...
Telle carte d'Auvergne ornée d'un splendide Bibendum rappelait un voyage 20 ans auparavant dans la patrie des frères Michelin ...
Tel livret scolaire remémorait la scolarité de nos chérubins ...

Toutefois très vite, la nécessité de faire place nette se coupla à un constat déprimant. Ces documents s'entassaient depuis des années sans aucune consultation. Beaucoup d'entre eux étaient même carrément sortis de l'horizon radar familial. Sans notre prochain réaménagement, ils auraient tranquillement continué à susciter la convoitise de quelques mites et autres insectes papivores.

En pratique, la situation s'avéra encore plus terrible qu'elle n'apparaissait au premier abord. Les évolutions techniques ont rendu l'essentiel de cette pile de paplards parfaitement inutile. Jugez sur pièces.

Les cartes routières, surclassées par le GPS et ses déclinaisons, ont rejoint la règle à calcul au magasin des accessoires.

Les cours et autres documents pédagogiques possèdent un intérêt à court terme durant la scolarité ou les études. Ils n'en ont plus aucun dans la vie professionnelle ou personnelle ultérieure.
Toute personne mue par un désir irrépressible de flirter avec l'équation de Schrödinger, la phénoménologie de Husserl ou les déclinaisons germaniques se situe à quelques clics sur son ordinateur ou son téléphone de ces savoirs irremplaçables.
Internet surclasse même mon ancien prof de philo puisqu'il nous apprend, ce que le pédagogue du lycée de Saint Germain en Laye de la fin des années 1970 avait omis de transmettre, que le regretté Edmund Husserl était marié à Malvine Steinschneider et qu'il avait suivi, à Vienne, l'enseignement de Franz Brentano sur l’intentionnalité chez Thomas d’Aquin ...

Mêmes les livres ont perdu de leur splendeur.
Comment se rappeler de l'existence de bouquins relégués derrière deux rangées d'autres ouvrages ?
À l'inverse, les versions numériques permettent des recherches rapides dans tout le texte, ne prennent aucune place, ne pèsent rien, se transportent et se transmettent facilement, préservent les forêts, et ne jaunissent ni ne moisissent.
Une estimation rapide évalue la totalité des livres absorbés durant une quarantaine d'années de lecture frénétique à sensiblement 1 à 2 Gigaoctets, quelques pourcents de la capacité de mon téléphone ...

Avec tout de même un petit, et même un gros, pincement au cœur, nous avons pris la décision de nous débarrasser d'une très grande part de ces monceaux de papier.

Il est très probable que, dans le futur, nous n'aurons pas à réitérer un tel grand nettoyage.
La numérisation progresse sans cesse et l'accumulation de CO2 dans l'atmosphère devrait nous garantir le printemps, voire l'été, perpétuel.

Forestiquement votre

Références et compléments
- Chronique dédiée à M. la reine du paplard entassé.
- Les supporters du regretté Edmund Husserl pourront soigner une éventuelle amnésie grâce à Wikipedia.