lundi 15 décembre 2014

MOOC : avis de tempête sur l'enseignement

Je viens, pour la première fois, de suivre un MOOC.

Cet acronyme anglais, qui se prononce mouque, signifie Massive Online Open Course, cours en ligne massif et ouvert.
Durant un mois et demi, j'ai, chaque semaine, consacré environ 2.5 heures à regarder des vidéos, répondre à des évaluations, corriger celles d'autres participants et dialoguer sur des forums.

Cette expérience enrichissante laisse entrevoir des bouleversements rapides dans l'éducation, domaine où les méthodes n'ont que peu évolué depuis le Moyen-Âge.
Dans la décennie qui vient, l'université traditionnelle, mais aussi une partie du lycée, voire du collège, seront emportés.

Analysons ensemble cette mutation annoncée.

C'est quoi un MOOC ?
Un MOOC est un cours gratuit diffusé par internet.

Le ou les professeurs enregistrent leurs interventions en vidéo.
Elles sont ensuite visionnées par les participants à l'horaire et au rythme de leur choix.
Les MOOC sont souvent des modules de 6 semaines, avec 1 à 2 heures hebdomadaires de vidéos.
Généralement, supports de cours et vidéos sont non seulement consultables mais aussi téléchargeables.

Le MOOC comporte aussi des évaluations à remplir en ligne, généralement une par semaine, la dernière étant plus étoffée.
Pour obtenir sa note, il est indispensable de corriger les évaluations d'environ 5 autres participants. Le système se prémunit ainsi des erreurs de notation.

La plupart des MOOC sont accompagnés de forums en ligne où les participants, et parfois l'équipe pédagogique, peuvent échanger autour des thèmes du cours.


Qui peut suivre un MOOC ?
Toute personne munie d'une connexion internet peut s'inscrire à un MOOC, quels que soient son âge, son niveau initial de formation, son expérience, son lieu de résidence, ses revenus, ses horaires, sa motivation, sa maîtrise linguistique…
Le M de MOOC, qui signifie massif, indique que ces cours s'adressent au plus grand nombre.


Quels sont les avantages des MOOC ?
Les MOOC mettent le savoir à la portée du plus grand nombre. Désormais, d'excellentes universités mondiales mettent en ligne les cours de leurs meilleurs professeurs.
Toute personne, qui souhaite se former ou tout simplement approfondir un thème, peut désormais y parvenir sans difficulté logistique ou pécuniaire. Plus besoin de se rendre dans une métropole, de s'inscrire, éventuellement de payer ou encore d'être tributaire d'horaires prédéfinis.

Pour des enseignements de niveau basique, pour faire simple de la fin du lycée à la licence, les MOOC donnent accès aux meilleurs pédagogues.
La loi d'Ohm ou les principes de la comptabilité générale sont plus faciles à digérer lorsqu'ils sont présentés par une bête de scène effectuant un vrai show devant la caméra.

Le haut niveau est aussi mis à la portée de tous et non plus réservé à quelques dizaines d'heureux élus d'une faculté bien précise.
Si la biologie marine des fosses de l'océan pacifique vous fait palpiter, les spécialistes du domaine ont mis leurs connaissances à votre disposition.


Y a-t-il des inconvénients ?
L'enseignement traditionnel qui regroupe, durant une année, les mêmes étudiants, dans une unité de temps et de lieu, pallie partiellement, par ses structures et ses rituels, notamment les examens, au manque de motivation.

Avec un MOOC, l'apprenant est seul devant son écran et doit affronter les baisses d'envie sans le secours d'une institution et de condisciples.
Tracer sa propre voie en solitaire est plus exigeant que de rester dans des rails collectifs.

De surcroît, un campus ou un lycée est aussi un lieu de socialisation où de nombreuses interactions humaines se nouent et se dénouent.
Cette absence de contacts bien réels est le principal défaut de tous les outils en ligne. Les MOOC ne font pas exception en la matière.
Ainsi, par exemple, il n'est pas certain que votre serviteur aurait pu, lors d'un MOOC, tisser une relation solide avec celle qui allait devenir son épouse préférée.

Autre imperfection des MOOC, ils se prêtent à la transmission de connaissances, mais pas à leur mise en pratique matérielle.
Beaucoup de disciplines, surtout scientifiques, nécessitent, non seulement une maîtrise théorique, mais aussi un entraînement à la mise en oeuvre concrète. Pour l'instant, en dehors de l'informatique et des mathématiques, le matériel et les encadrants ad hoc ne se prêtent guère à la mise en ligne.


Un MOOC est-il vraiment gratuit ? Comment est-il financé ?
Dans un MOOC, le plus souvent, le cours et l'évaluation sont totalement gratuits.
Par contre, la certification de la note est payante. Habituellement de l'ordre de 100 € pour un cours de 6 fois une heure.
Les participants désirant un diplôme assurent donc la mise à disposition gratuite au plus grand nombre de connaissances et de pédagogie.
Il s'agit d'un renversement du modèle traditionnel. Jusqu'alors, dans une école privée, le totalité de la scolarité était payante, sans distinction entre enseignement, évaluation et certification.

Les tarifs actuels de certification sont très loin d'être bradés.
Suivant les disciplines, un enseignement traditionnel post-bac varie entre 15 et 25 heures hebdomadaires, réparties sur 9 mois par année.
Un étudiant souhaitant réaliser le même programme annuel avec des MOOC doit donc débourser entre 8 000 et 14 000 € pour être complètement certifié, un montant comparable aux 12 000 € que l'état français dépense pour chaque étudiant dans l'enseignement supérieur public.

Les plus grands éditeurs de MOOC sont pour l'instant américains. Venus d'un système où l'enseignement supérieur est massivement payant, ils ont défini leurs tarifs par rapport aux frais traditionnels de scolarité.
L'attrait économique pour les étudiants se situe, à l'heure actuelle, essentiellement dans la diminution des dépenses annexes, principalement de logement.


Quelles conséquences pour le système d'éducation traditionnel ?
Les MOOC sont récents. Les mutations qu'ils vont engendrer sont multiples et pas encore définitives. Néanmoins, il est possible d'esquisser quelques tendances qui, très vite, pourraient devenir réalité.

  • L'enseignement en ligne va mettre à mal l'enseignement traditionnel. Un éventuel système mixte ne sera pas durable.
    À chaque fois qu'une nouvelle technologie apparaît, les acteurs de l'ancien système, en bonnes autruches, font l'éloge du mélange des genres.
    Avec le recul de l'histoire, passé une période de transition, souvent assez courte, cela ne s'est jamais produit. Ainsi, diligences, machines à vapeur, télégraphes ou chanteurs de rue ont mal survécu.
    Il n'y a pas d'exemple où une baisse drastique de coûts de production n'ait pas révolutionné rapidement un secteur.
     
  • Les tarifs des institutions privées d'enseignement vont s'écrouler.
    Le coût d'un MOOC est fixe et peut s'amortir sur plusieurs années.
    Plus le nombre d'étudiants désireux d'être certifiés en ligne augmentera ; plus, concurrence aidant, les tarifs baisseront.
     
  • Les acteurs de l'éducation vont se concentrer internationalement.
    À l'instar de Google, Apple ou Amazon, les acteurs de l'éducation en ligne vont très probablement se concentrer. Les meilleurs et les plus connus rafleront toute la mise.
    Pourquoi suivre un MOOC et payer pour avoir une certification de l'Université de Corrèze ou de Kelibia lorsque, pour le même prix, on peut décrocher, dans la même discipline, un diplôme de Stanford ?
    Le monde académique s'industrialise et va faire l'objet de batailles concurrentielles mondiales.
     
  • Les MOOC sont la bouée de sauvetage de l'enseignement public gratuit et égalitaire.
    Aujourd'hui, en France, grosso modo 300 à 500 professeurs enseignent les rudiments du génie électrique en premier cycle.
    Il en est de même dans toutes les disciplines de base, pour l'ensemble des pays francophones.
    L'usage de main d'oeuvre enseignante et de bâtiments est important et pèse directement sur des deniers publics de plus en plus rares.
    De surcroît, des acteurs privés internationaux vont venir concurrencer les systèmes nationaux publics et gratuits.
    Sans de très forts changements volontaires, l'inégalité sociale du système éducatif français va s'accroître.
    Avec des MOOC, il suffirait que les puissances publiques financent, pour toute la Francophonie, 3 à 5 professeurs par discipline ainsi que quelques vidéastes pour obtenir un service identique, voire meilleur, que les cours universitaires traditionnels actuels.
    L'économie en personnel et en immobilier serait gigantesque, surtout si les MOOC empiètent, au moins partiellement, sur le lycée.
    Seules les séances de travaux pratiques, partiellement remplaçables par un couplage entre des MOOC et de l'apprentissage, auraient besoin d'être maintenues avec enseignants et salles de classe.
     
  • Professeur de lycée ou de premier cycle sera très prochainement une profession sinistrée.
    Plus un enseignement est basique et non spécialisé, plus il est menacé par les alternatives en ligne.
    Une partie des professeurs surnuméraires pourra devenir des tuteurs pour guider et suivre les étudiants en mal de motivation.
    Une autre fraction pourra s'investir plus dans la recherche et les thématiques de pointe.
    Mais, revers terrible de la médaille, une majorité d'enseignants actuels devra trouver un autre travail.
    Se destiner au professorat est, pour un futur bachelier de 2015, un choix suicidaire.
    De même, pour une institution traditionnelle d'éducation, agrandir son campus est devenu une option mal avisée.
     
  • Les cursus linéaires de formation et la sélection à l'entrée vont prendre un coup de vieux.
    Chacun peut s'inscrire à un ou plusieurs MOOC ans aucune condition. Seul l'acquis par rapport au sujet du cours est évalué en fin de MOOC.
    Cette manière peu rigide de procéder est bien adaptée à la formation continue tout au long de la vie. Les tenants des diplômes traditionnels vont devoir se repositionner par rapport à ces nouvelles pratiques flexibles.
    Quant à la détestable sélection à l'entrée pratiquée en France et Tunisie au moment du bac et des classes préparatoires, ses jours sont comptés...
       
  • La tempête des MOOC va aussi impacter l'immobilier.
    Les besoins en bâtiments d'enseignement vont s'écrouler. Des réserves foncières gigantesques seront ainsi libérées dans les années à venir.
    De même, le marché des résidences étudiantes risque de connaître un sacré coup de mou.
    Au final, la physionomie et la sociologie de villes comme Grenoble, Montpellier ou Toulouse pourraient être radicalement modifiées.

Mutationnellement votre

Post Scriptum : j'ai conscience et j'assume le caractère perturbant, provocant et polémique de cet exercice de prospective simultanément pédagogique et technologique.
Je vous invite à le commenter et le critiquer. Merci, pour ce faire, de me contacter.