lundi 25 avril 2016

Payons-nous plus d'impôts que sous Louis XVIII ?

Le mardi 30 mars 1819 - sous le règne du regretté Louis XVIII qui avait rétabli 4 ans plus tôt la monarchie à l’issue de la révolution et du premier empire - le « Journal de l’Isère, administratif, politique et littéraire » relatait longuement le vote du budget de la France.



Un roi légaliste à la tête d’un état frugal

À la chute de l’empire de Napoléon Ier en 1814-1815, Louis XVIII - frère cadet du non moins regretté et malencontreusement raccourci Louis XVI - restaura la royauté en France.
L’âge, l’exil et les nécessités du moment avaient rendu ce souverain tardif pragmatique et l'avaient conduit à conserver une bonne part de l’héritage révolutionnaire et napoléonien.

Toutefois, il n’alla pas jusqu’à faire montre de zèle démocratique.
Aussi la « chambre des députés » était élue au suffrage censitaire, c’est à dire réservé uniquement aux 94 000 français les plus riches.
Néanmoins, Louis XVIII respecta le verdict de ces urnes monétaires, nomma des gouvernements issus de la majorité parlementaire et fit scrupuleusement voter lois et budgets.

Au début du XIXème siècle, la révolution industrielle n’avait pas encore pleinement démarré en France. Aussi le rythme des décisions économiques reste celui de la vie agricole. Le budget national pour l’année civile est discuté en fin d’hiver, alors qu’un trimestre est déjà écoulé.

Ainsi « le budget des recettes de 1819 est fixé à la somme de 889 218 000 fr. » soit environ un dixième du produit intérieur brut de l’époque.
Désormais, la puissance publique française absorbe autour de la moitié de ce que nous produisons annuellement.
En deux siècles, la pression fiscale a été multipliée par 5 !
Paradoxalement, la royauté était moins gourmande, mais aussi moins redistributrice, que la république.

Des impôts bloqués

Dans le souci louable de ne pas accroître les prélèvements obligatoires et surtout de ne pas mécontenter les riches, qui étaient aussi les seuls électeurs, le gouvernement de « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre » propose aux députés d’approuver que « la contribution foncière, la contribution personnelle, la contribution des portes et fenêtres et les patentes seront perçues en 1819 […] sur le même pied qu’en 1818 ».

Le monarque, par l'entremise de ses ministres, suggère aussi aux élus de déclarer « maintenus » « les droits d’enregistrement, de timbre, de greffes, d’hypothèques, de passe-ports et permis de port-d’armes, des droits de douanes, y compris celui sur les sels, des contributions indirectes, des loteries, de la taxe des brevets d’inventions, des droits de vérification des poids et mesures et du 10.è des billets d’entrée dans les spectacles ».

Deux perdants toutefois dans ce budget de 1819.
D’une part, les parents de soldats qui devront affranchir les lettres destinées aux « militaires de tous grades » au « tarif général des postes » et non plus « au prix de 15 centimes ».
D’autre part les journaux qui verseront « un centime et demi par feuille sur ceux imprimés à Paris et un demi-centime sur ceux imprimés dans les départemens ».
Difficile pour un régime conservateur et traditionaliste de résister au plaisir d'exercer de menues vexations à l’encontre des rescapés de l’épopée napoléonienne et des tenants de la liberté de la presse.

Louis XVIII monarque français qui hésita à se spécialiser dans le 110 mètres haies

Des privatisations à foison

Manifestement, les recettes bloquées ne peuvent suffire à assurer le train de vie grandissant de l’état aussi des pans entiers de forêt sont cédés au plus offrant : 21 246 hectares en 1817, 62 25 hectares en 1818, sensiblement autant programmé à la vente en 1819.

De surcroît, l’article 4 du budget rappelle que les nouveaux propriétaires de ces bois sont immédiatement « ajoutés au contingent [fiscal] de chaque département, de chaque arrondissement, de chaque commune ».
Une manière pour la royauté impécunieuse de faire coup double.

Une dette croissante

Le projet de budget de 1819 se termine par un chapitre sobrement intitulé « Titre V - Moyens de crédit ».

Son premier article stipule « pour couvrir la différence résultant de la balance des charges et moyens de 1819 […] le ministre des finances est autorisé augmenter de 48 900 057 fr. et à porter jusqu’à la somme de 224 874 000 fr. le capital de la dette flottante ».

En langage d’aujourd’hui, le gouvernement de Louis XVIII a reçu l’autorisation de la « chambre des députés » d’augmenter d’un petit quart la dette publique pour la porter à une valeur correspondant aux impôts collectés durant un trimestre.
Actuellement, si la dette nationale progresse nettement moins vite d’une année sur l’autre, elle équivaut à 2 ans d’impôts, soit 8 fois plus que sous la Restauration.

Budgéto-royalement votre

Références et compléments
Les passages entre guillemets sont des recopies exactes du numéro du 30 mars 1819 du « Journal de l’Isère, administratif, politique et littéraire ».
L’orthographe et la graphie d’époque ont été conservées.
Ainsi les mots finissant par "ent" se terminaient au pluriel par "ens", comme par exemple « départemens ».
Merci à Roland qui a déniché ces anciennes gazettes datant de la Restauration.

Plus de détails sur impôts, déficit et dette actuels dans la chronique « Tout savoir (ou presque) sur le déficit public de la France ».

L’image fort peu majestueuse de Louis XVIII avec ses béquilles provient de Wikimedia Commons. Elle est l'oeuvre de l'historien George S. Stuart.