mardi 9 août 2016

Le revenu de base universel en 6 questions

​Le revenu d'existence ou revenu de base universel fait petit à petit son chemin dans les débats sociaux, économiques et politiques.

En 2016, la Suisse a organisé un référendum à son sujet et la Finlande annoncé une prochaine mise en oeuvre expérimentale.

Cette idée mérite, a minima, d'être examinée attentivement.
En effet, un concept promu simultanément par les libéraux et des fractions très différentes de la gauche et combattu par les conservateurs de toutes obédiences ne saurait être entièrement stupide.

Le revenu de base universel c'est quoi donc ?

Le principe est simple : remplacer toutes les prestations sociales existantes par une seule, à la fois forfaitaire et inconditionnelle.

Par exemple, en France, la protection sociale coûte grosso modo 700 milliards d'euros annuels pour une population de 65 millions d'habitants.
Cela représente sensiblement 900 € mensuels par personne.

Le revenu universel consisterait à verser cette somme automatiquement à chacun, sans distinction, du berceau au cercueil.
En contrepartie, toute la couverture sociale actuelle - sécurité sociale maladie, allocations familiales, allocation chômage, pensions de retraite et aides diverses notamment pour le logement - serait supprimée.

Chacun serait entièrement libre de choisir l'usage de cette pension : dépense immédiate et/ou épargne notamment pour la retraite et/ou cotisation à des assurances ou mutuelles garantissant les risques liés à la santé ou à la perte d'emploi.

Des propositions suggèrent, dans un souci de protection de l'enfance, que le revenu de base versé aux mineurs ne puisse être employé que pour leur assurance santé et la constitution d'une épargne disponible à leur majorité.

Le revenu d'existence pour quoi faire ?

Les supporters de cette allocation unique, lorsqu'ils sont issus des rangs de la gauche, apprécient une protection sociale qui deviendrait réellement universelle et totalement égalitaire.
Les plus modernistes soulignent que le revenu de base crée un "droit à l'accès" et non pas un "droit à des droits".

Les libéraux y voient un système associant libre choix individuel avec solidarité collective.
Ils insistent aussi sur la meilleure efficacité économique procurée, d'une part, par la l'extrême simplicité de ce mécanisme social et, d'autre part, par la mise en concurrence des assurances maladie et retraite ouvertes au secteur privé.
D'après eux, le revenu universel ferait disparaître moult usines à gaz et rentes de situation.

De surcroît, certains estiment qu'une telle réforme, en France - par le biais de la suppression des régimes sociaux existants - faciliterait la refonte des prélèvements obligatoires, en les faisant moins porter sur le travail et plus sur la valeur ajoutée, voire sur les revenus.

Le revenu universel : une prime à la fainéantise ?

Cet argument est aussi ancien que les premiers embryons de protection sociale.
Depuis plus d'un siècle et demi, les milieux conservateurs l'ont brandi à chaque fois qu'une solidarité collective organisée est venue substituer une aléatoire charité.

En pratique, une somme inférieure au salaire minimum ne permet guère de mener une existence de nabab tout en bénéficiant d'une couverture santé acceptable.
Je suggère à ceux qui pensent le contraire de pratiquer l'exercice pendant quelques semaines.

Toutefois, d'autres objections éthiques et pratiques au revenu de base s'avèrent plus problématiques.


Faut-il soigner un malade non assuré ?

Avec le revenu universel, la collectivité mettrait à disposition de chacun la possibilité de se protéger contre les principaux accidents de la vie, mais sans aucun caractère obligatoire.

Rapidement après la mise en place du revenu de base, les hôpitaux devraient recevoir des patients souffrant d'affections graves et n'ayant pas employé leur allocation universelle pour assurer leur santé.
Sans possibilité d'acquitter le coût de leur traitement, devront-ils être quand même pris en charge ?

L'éthique de la médecine prescrit de soigner les personnes le nécessitant indépendamment de leur condition pécuniaire.

Toutefois, dans ce cas, beaucoup d'entre nous - en suivant un raisonnement économique rationnel - se comporteront en passagers clandestins obtenant des prestations médicales gratuites.
Les infirmières et médecins ne vivant pas de l'air du temps, le système de santé ne pourra survivre longtemps sans financement...

Dans la même veine, une liberté complète des assurances maladie conduira à d'importantes inégalités, à l'instar de celles existant aujourd'hui pour les risques automobiles.
Un trentenaire non fumeur, sportif, marié avec enfants se verra proposer des primes modiques, alors que le revenu de base d'un septuagénaire isolé, cardiaque et diabétique ne lui permettra pas de s'assurer.

Pour éviter ces effets pervers, des promoteurs du revenu d'existence suggèrent de le transformer en "chèque-protection sociale" à l'instar des "tickets-restaurant" et d'imposer des régulations strictes aux assurances maladie privées.
Les libéraux craignent, non sans raison, le retour des usines à gaz et des rentes de situation...

Faut-il payer un revenu de base aux immigrés ? aux expatriés ?

Le revenu d'existence serait financé par la fiscalité nationale qui taxe, en proportions diverses selon les états, salaires, bénéfices, valeur ajoutée, travail et patrimoine.

Son versement aux personnes vivant durablement dans un pays - quelle que soit leur nationalité - et en règle avec la législation, notamment fiscale, ne pose aucun problème de principe.

Par contre, cette allocation universelle doit-elle être donnée aux arrivants de fraîche date ?
Que faire s'ils sont en situation irrégulière ?
Comment éviter l'afflux des "chasseurs de prime" ?
900 € mensuels inconditionnels apparaissent depuis beaucoup de pays en voie de développement, voire émergents, comme un pactole...

De même, les nationaux vivant à l'étranger sont imposés là où ils habitent. Logiquement, ils ne devraient pas bénéficier du revenu de base de leur pays d'origine.
Mais comment limiter la très tentante fraude à la résidence ?

Comment payer la retraite des vieux ?

En France, mais aussi par exemple en Tunisie, en Italie ou en Allemagne, les retraites sont essentiellement financées par un système dit de répartition.
Chaque mois, les cotisations des actifs sont immédiatement employées à payer les retraités.
L'accumulation, au fil de la vie professionnelle, de ces cotisations génère, petit à petit, des droits à la retraite.

Ce système ressemble en apparence à une épargne mais n'en est pas une.
De surcroît, il ne tient que par son caractère obligatoire.
Les pensions de retraite sont garanties par le fait que tous les travailleurs du moment sont forcés de les financer, en échange de la promesse qu'il en sera de même pour eux plus tard.

Dans d'autres pays, comme les USA, les retraites fonctionnent avec des régimes dits de capitalisation.
Chacun épargne ce qu'il souhaite via des organismes financiers, les fameux "fonds de pension".
Ces sommes sont placées en actions et obligations afin de fructifier et d'assurer une rente quand leur titulaire cessera de travailler.

Le revenu universel est bien adapté au système par capitalisation car il confère à chacun une possibilité minimale d'épargne.

Par contre, l'allocation d'existence qui supprime l'obligation individuelle de protection sociale est incompatible avec les retraites par répartition.
Pour les jeunes générations, cela ne serait guère un souci. Les deux systèmes ont leurs avantages et inconvénients et nécessitent chacun du temps long.
Pour les retraités ou pour ceux - comme votre serviteur - qui s'approchent de la fin de leur carrière, le nouveau régime social serait une catastrophe. Leurs longues décennies de cotisations n'ayant pas été employées à bâtir une épargne, le revenu de base les priverait de retraite...

Pour surmonter ces difficultés, des propositions de transition longue d'un système à l'autre, voire même de maintien des retraites par répartition sont évoquées.
Là encore, la pureté virginale du revenu de base universel risque de s'évaporer dans des usines à gaz...

Socialement et universellement votre

Références et compléments
Merci à Jean et Bernard qui ont, depuis plusieurs mois, insisté pour que je rédige ce billet.