dimanche 16 août 2015

"Muse dis-moi les raisons" - Musée du Bardo, 5 mois après l'attentat

L'auteur latin Virgile est, sans conteste, le poète du musée du Bardo à Tunis.
Son œuvre majeure, l'Énéide, se déroule en bonne partie sur l'actuel territoire de la Tunisie et relate les amours impossibles entre Énée, héros troyen, et la reine phénicienne Elyssa Didon, fondatrice légendaire de Carthage.

Le huitième des 10 000 vers de l'Énéide figure sur une mosaïque représentant Virgile qui accueille, au Bardo, le visiteur en haut du premier escalier :
Musa, mihi causas memora
Muse, dis-moi les raisons
Bien qu'écrite il y a plus de 2 000 ans, cette phrase entre en résonance avec les tragiques événements qui ont ensanglanté ce musée en mars 2015.

Virgile entouré de Clio la muse de l'histoire à sa droite et de Melpomène la muse de la tragédie à sa gauche - Mosaïque du IIIème siècle exposée au Bardo et découverte à Hadrumète à proximité de Sousse (image David Bjorgen / Wikimedia Commons)

Abattre de sang froid des personnes, choisies au hasard, avec pour seule justification leurs supposées religions, nationalités, ethnies, opinions ou occupations est l'archétype de la barbarie.
Les grandes religions, spiritualités et philosophies n'enseignent-t-elles pas le respect de la vie et de la personne humaine ?
Musa, mihi causas memora
Muse, dis-moi les raisons



Mémorial en mosaïque exposé dans le hall d'entrée du musée du Bardo en hommage aux 22 victimes de l'attentat du 18 mars 2015

Perpétrer cette tuerie dans un musée consacré à 2 500 ans de civilisations méditerranéennes entrelacées et à leurs expressions artistiques est - si cela est possible - encore plus ignoble.
Ces œuvres immémoriales ne constituent-elles pas le patrimoine de toute l'humanité ?
Musa, mihi causas memora
Muse, dis-moi les raisons


Une des nombreuses mosaïques romaines du musée du Bardo

La charge émotionnelle des traces de balles sur les murs et vitrines est à l'exact opposé du plaisir esthétique que l'art suscite.
Les lieux de culture ne devraient-ils pas être des sanctuaires ?
Musa, mihi causas memora
Muse, dis-moi les raisons


Impact de balle sur une vitrine du musée du Bardo

Visiter presque seul un musée majeur en pleine saison touristique est un déprimant privilège.
La liberté n'est-ce pas aussi de pouvoir être très nombreux à profiter, sans entraves, des endroits d'exception ?
Musa, mihi causas memora
Muse, dis-moi les raisons


Affiche "Musa, mihi causas memora" de Fabiola Napoli

Toutefois, finir par rencontrer, dans ce musée martyr, plusieurs groupes d'enfants et d'adolescents tunisiens, beaucoup arborant des t-shirts "I love Tunisia", parcourant les salles dans les éclats de rire et une certaine pagaille, réconforte.
La Tunisie touchée ne s'est pas couchée !
L'insouciance de la jeunesse n'est-elle pas la meilleure réponse à la terreur ?
Muse, dis-moi les raisons d'espérer ...

Groupe d'enfants venant du sud de la Tunisie en visite au musée du Bardo. Au premier plan, le baptistère paléochrétien de Gightis dans l'île de Djerba datant du VIème siècle.

No pasaran
Humainement et tunisiquement votre

Références et compléments
Sur le même thème tragique, voir aussi les chroniques :

Quelques explications additionnelles :
  • Dans la mythologie grecque, les 9 muses sont les filles de Zeus, le dieu en chef, et ont le rôle de gardiennes des arts.
    Le mot musée découle directement de muse.
  • Le vers latin de Virgile "Musa, mihi causas memora / Muse dis-moi les raisons" figure sur une affiche d'une jeune artiste italienne Fabiola Napoli reproduite ci-dessus et exposée au musée du Bardo dans la salle la plus atteinte par les tirs.
    Cette oeuvre, très forte par sa simplicité, représente des fragments de mosaïque criblés de balles. Elle est lauréate du concours organisé en juin dernier par l'Académie des Beaux Arts de Florence en soutien aux victimes et au musée.
  • La direction du musée du Bardo, en hommage aux victimes et en rappel silencieux de la barbarie, a choisi de ne pas réparer les murs et vitrines endommagés par des projectiles.
    Ces traces d'armes de guerre, totalement incongrues parmi les mosaïques et statues, sont extrêmement poignantes.
  • Les attentats successifs du Bardo et de Sousse ont, à ce jour, eu raison de la fréquentation touristique en Tunisie. A titre d'exemple, le principal hôtel de Kelibia est fermé au cœur du mois d'août.

Les photos ont été prises par l'auteur le 14 août 2015 au musée national du Bardo de Tunis à l'exclusion de l'image de la mosaïque représentant Virgile et les deux muses qui provient de Wikimedia Commons et qui a été réalisée par David Bjorgen.
L'affiche "Musa, mihi causas memora" de Fabiola Napoli figure aussi sur le site de l'Académie des Beaux Arts de Florence.

Pour aller plus loin :